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herbert spencer. — études de sociologie

les autres, — ce qui nous a mis sur la voie d’une explication des mutilations, dont nous avions à parler ensuite. Nous avons vu que lorsque, au lieu de tuer le vaincu, on lui conservait la vie pour le réduire en esclavage, le vainqueur était dans la nécessité de ne prendre sur la personne du vaincu que des trophées qui ne missent point sa vie en danger et qui ne fussent pas très-dommageables. C’est pour cela que, au lieu de lui arracher la mâchoire, on se contenta de lui arracher des dents ; au lieu de lui trancher les mains, on lui coupa des doigts ; au lieu de le scalper, on lui coupa les cheveux. De même, dans le cas qui nous occupe, la mutilation grave a fait place à une mutilation de même genre, mais qui ne diminuait pas sérieusement, ou point du tout, la valeur de l’ennemi réduit en esclavage.

Je ne trouve rien qui prouve directement que la pratique de la castration ait son origine dans l’usage de prendre des trophées ; mais il existe une preuve directe que dans certains cas des prisonniers ont été traités de la façon qu’on leur eût fait subir si l’on eût voulu prendre sur eux des trophées. Nous lisons dans Gibbon que Theobald, marquis de Spolète, « faisait châtrer sans merci… ses prisonniers. » Nous avons une autre raison de croire que la castration a été jadis un sacrifice obligé en l’honneur d’un vainqueur : c’est que nous trouvons un sacrifice analogue fait à une divinité. Aux fêtes annuelles de la déesse phrygienne Amma (Agdistis), « l’usage était que des jeunes gens se fissent eux-mêmes eunuques avec une coquille tranchante ; ils criaient en même temps : Reçois cette offrande, Agdistis. » Une pratique analogue existait chez les Phéniciens, et Brinton parle d’une mutilation cruelle que les anciens prêtres mexicains s’infligeaient à eux-mêmes et qui paraît avoir compris la castration. Une fois devenu un moyen de marquer la subordination, cet usage, comme beaucoup d’usages cérémoniels, a survécu dans certains cas où sa signification s’est perdue. Les Hottentots imposent une demi-castration à l’âge d’environ huit ou neuf ans, et une coutume analogue existe chez les Australiens.

Naturellement, dans ce genre de mutilations, les moins graves sont celles dont l’usage se généralise le plus. On retrouve la circoncision chez des races sans lien de parenté, dans toutes les parties du monde : chez les Malayo-Polynésiens de Tahiti, aux îles Tonga, à Madagascar ; chez les Nigritos de la Nouvelle-Calédonie et des îles Fidji ; chez les peuplades d’Afrique, tant sur la côte que dans l’intérieur des terres, depuis le nord de l’Abyssinie jusqu’au sud de la Cafrerie ; en Amérique, chez quelques races mexicaines, au Yucatan, et chez les naturels de San-Salvador ; nous la rencontrons même en Australie. Ne saurions-nous pas, par le témoignage de leurs monu-