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herbert spencer. — études de sociologie

soumission à une personne morte. Un usage des Dacotahs montre fort bien comment l’abandon de la chevelure en faveur d’un mort est un acte qui se rapproche à son origine de l’abandon d’un trophée. « Les hommes se rasent la tête et n’y gardent qu’une mèche au sommet (la mèche du scalp), qu’ils laissent pousser et portent en tresses sur leurs épaules ; ils en font ordinairement le sacrifice à la mort de proches parents ; » c’est-à-dire qu’ils ne peuvent faire plus, à moins d’abandonner leur scalp au mort. On retrouve la même signification à cet acte dans le récit qu’on fait des Caraïbes : « Comme leur chevelure faisait surtout leur orgueil, c’était pour eux une preuve incontestable de la sincérité de leur chagrin, que de la couper à la mort d’un parent ou d’un ami, et de porter les cheveux aussi courts qu’un esclave ou un prisonnier. » Partout, chez les peuples non civilisés, on rencontre des usages analogues. Il n’en était pas autrement des anciennes races historiques. Les Hébreux faisaient un rite funèbre de « rendre leurs têtes chauves », comme aussi de se raser « un coin de la barbe ». De même chez les Grecs et les Romains : « ils se coupaient les cheveux ras en signe de deuil. » En Grèce, on connaissait le sens de cette mutilation. « Nous voyons l’Electre d’Euripide, remarque Potter, blâmer Hélène d’épargner sa chevelure, et de faire par là tort au mort. » Et le même auteur cite un passage où il est dit que le sacrifice des cheveux (déposés quelquefois sur le tombeau) était destiné « en partie à se rendre l’esprit du mort propice ». Il est une addition significative qu’il faut faire : « Pour une mort récente, on rasait la tête de l’affligé ; pour une offrande à une personne morte depuis longtemps, on coupait une seule boucle. »

Naturellement, si de la propitiation des morts, dont quelques-uns passent au rang des dieux, sort une propitiation religieuse, on peut prévoir que l’offrande des cheveux reparaîtra sous forme de cérémonie religieuse ; nous, voyons qu’il en est ainsi. Déjà, dans le fait que nous venons de citer, qu’on ne se bornait pas à faire dans les funérailles des Grecs le sacrifice de la chevelure, mais qu’on faisait plus tard des sacrifices semblables, encore que moins importants, dans ce fait, nous voyons l’origine de cette propitiation renouvelée qui caractérise le culte d’un dieu. Chez les Grecs, « à la mort d’un personnage très-populaire, d’un général par exemple, il arrivait quelquefois que tous les hommes de l’armée coupaient leurs cheveux ; » ce qui montre que l’usage a fait un pas pour devenir un acte de propitiation rendu par des individus qui n’ont d’autre lien entre eux que d’être membres de la même société, acte qui, une fois établi en règle, constitue un des éléments d’un culte religieux. De là viennent certaines cérémonies grecques. « Quand un jeune garçon devenait éphèbe,