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phénomènes de cette classe, si universels et si frappants qu’ils soient, c’est que la plupart des fonctions sociales sont servies par des appareils trop considérables pour qu’on manque de les apercevoir, tandis que les fonctions de l’autorité cérémonielle n’ont pour les servir que des appareils si chétifs qu’ils ne paraissent avoir aucune importance. On néglige généralement de voir que le gouvernement cérémoniel a une organisation spéciale, tout comme les gouvernements politique et ecclésiastique en ont une, parce que cette organisation s’est amoindrie, tandis que celle des deux autres gouvernements s’est développée, du moins dans les sociétés parvenues au point où les phénomènes sociaux deviennent matière d’étude. Mais, à l’origine, des officiers préposés aux rites exprimant la subordination politique ont une importance qui ne le cède qu’à celle des officiers préposés aux rites religieux ; et les deux ordres de fonctionnaires sont homologues. Qu’ils appartiennent à l’une ou à l’autre classe, ils dirigent des actes propitiatoires : dans un cas le chef visible est la personne dont on recherche la faveur, et dans l’autre c’est le chef qui n’est plus visible. Les uns et les autres accomplissent et règlent le culte, le culte du roi vivant et le culte du roi mort. À. notre époque de civilisation avancée, la différenciation qui a séparé le divin d’avec l’humain est devenue si profonde que cette proposition semble à peine croyable. Mais quand on remonte à des époques où les attributs de la divinité que l’esprit se représentait, différaient de moins en moins de ceux de l’homme, et quand on arrive à la fin à l’époque primitive où l’autre-soi du mort, considéré indifféremment comme esprit-revenant ou comme dieu, ne se distinguait en rien, au moment de ses apparitions, de l’homme vivant, quand on se reporte, dis-je, à ces époques, on ne peut manquer de voir la parenté qui unit les fonctions des officiers qui servent le chef décédé, et celles de ceux qui servent son successeur. Ce, qui peut encore après cela paraître étrange dans notre affirmation disparaît dès qu’on se souvient que, dans diverses sociétés anciennes, on adorait les rois vivants à l’égal des rois morts ; et que l’adoration des rois vivants par des prêtres n’était que la forme extrême de l’adoration dont s’acquittaient tous ses serviteurs.

Les organisations sociales qui ne sont que faiblement différenciées nous font voir clairement sous divers points de vue cette parenté. Comme ses inférieurs, le chef sauvage proclame ses propres exploits et les grandes actions de ses ancêtres ; et les inscriptions assyriennes et égyptiennes prouvent que dans certains cas cette habitude de se louer soi-même persiste longtemps. Entre la phase sociale où le chef se loue lui-même et celle où il se fait louer par procuration, il y a un progrès dont nous avons un exemple frappant