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herbert spencer. — études de sociologie

d’une subordination domestique. Les Australiens ont l’habitude de couper la dernière phalange du petit doigt des femmes, et « une veuve hottentote qui se marie pour la seconde fois doit se laisser couper la phalange onguinale du petit doigt ; elle perd une autre phalange à la troisième fois, et ainsi de suite chaque fois qu’elle contracte mariage. »

Ce qui montre que ces mutilations propitiatoires des mains se pratiquent de la manière qui compromet le moins l’utilité de l’individu, c’est qu’elles commencent d’ordinaire par la dernière phalange du petit doigt, qu’elles n’affectent les parties les plus importantes de la main que si on a l’occasion de les multiplier. Enfin, nous pouvons ajouter que, lorsque l’amputation de la main reproduit la mutilation qu’on faisait primitivement subir au cadavre des ennemis morts, c’est que l’utilité de l’individu n’est pas l’objet qu’on se propose : c’est dans les cas où le traitement infligé à l’ennemi extérieur s’applique à l’ennemi intérieur, au criminel. Les Hébreux faisaient de la perte d’une main le châtiment d’un certain genre de crime (Deutéronome, xxv, 11, 12). « On ordonna de lui trancher les mains, ce qui au Japon est le comble du déshonneur. » Il s’agit d’un individu qui s’était rendu coupable d’un crime politique. Dans l’Europe du moyen âge, on coupait les mains en punition de certains crimes, et l’une des peines édictées par Guillaume le Conquérant consistait dans la perte d’une main.


Les écrits de voyageurs qui ont parcouru l’Orient dans ces derniers temps prouvent que des vaincus privés du nez par leurs vainqueurs, soit qu’on le leur ait coupé pendant qu’ils étaient incontestablement vivants ou pendant qu’on les croyait morts, survivent, et que chez eux cette mutilation est le signe de leur défaite. Par suite, la perte du nez peut devenir la marque de l’esclavage, et le devient dans certains cas. Herrera dit qu’une peuplade de l’Amérique centrale provoquait les peuplades voisines quand « elle manquait d’esclaves ; si ses ennemis n’acceptaient pas le défi, elle ravageait leur pays et coupait le nez aux esclaves. » Ramseyer décrit une guerre qui sévit durant sa captivité chez les Achantis et raconte que les Achantis épargnèrent un prisonnier, « auquel on rasa la tête, on coupa le nez et les oreilles, et qu’on réduisit à porter le tambour du roi. »

La perte du nez, dans cet exemple, s’accompagne de celle des oreilles, qui va nous occuper maintenant. On peut l’expliquer aussi comme une conséquence de l’usage de prendre des trophées qui n’ont pas entraîné la mort de la victime ; si ce ne n’est pas le signe de l’esclavage ordinaire, c’est le signe de cet autre genre d’esclavage infligé souvent en punition de crimes. Dans l’ancien Mexique, « celui