Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
herbert spencer. — études de sociologie

d’une mutilation peut à la fin devenir la constatation d’un esclavage consenti. « Alors Mahas, Ammonite, monta et campa contre Jabès de Galaad : et tous ceux de Jabès dirent à Mahas : Traite alliance avec nous, et nous te servirons. Mais Mahas, Ammonite, leur répondit : Je traiterai alliance avec vous à cette condition : c’est que je vous crève à tous l’œil droit. » (I Samuel, xi, 1, 2.) Ils consentaient à devenir ses sujets, et la mutilation (à laquelle ils ne consentaient pas) était le signe de leur assujettissement. D’une part, les mutilations servent, comme les marques au fer rouge que l’agriculture imprime à ses moutons, de signe à la propriété privée d’abord, et plus tard de signe à la propriété politique ; d’autre part, elles servent à remettre en mémoire à perpétuité la puissance du maître, en tenant en éveil la crainte qui mène à l’obéissance.. Un fait historique nous en donne la preuve : Basile II fit crever les yeux à quinze mille prisonniers bulgares, et « la nation fut épouvantée de ce terrible exemple ».

Ajoutons que la trace d’une mutilation, devenue la marque d’une race sujette, demeure un signe de soumission lorsque l’usage de prendre des trophées, qui avait donné naissance à la mutilation, a disparu, et examinons les divers genres de mutilations, ainsi que le rôle qu’elles jouent dans les trois formes de gouvernement, la politique, la religieuse, la sociale.

Lorsque les Araucans vont en guerre, ils envoient des messagers pour convoquer les tribus confédérées ; ces messagers portent avec eux des flèches d’une certaine forme, comme signe de leur mission ; et, « si les hostilités sont réellement commencées, on joint aux flèches le doigt ou (comme Alcedo le veut) la main d’un ennemi tué ; » nouvel exemple qu’on peut ajouter à ceux où nous avons déjà vu rapporter des mains coupées en signe de victoire.

Nous avons la preuve que dans certains cas des vaincus vivants, dont les mains ont été coupées en guise de trophées, sont ramenés du champ de bataille. Le roi Osymandias réduisit les Bactriens révoltés, et l’on voit, « sur la seconde paroi » du monument qui lui est consacré, « amener des prisonniers, qui n’ont pas de mains. » Sans doute on peut couper à un vaincu une main pour en faire un trophée, sans compromettre beaucoup sa vie ; mais la perte de ce membre diminue trop la valeur d’un esclave pour qu’on ne préfère pas prendre un autre trophée à ses dépens.

On n’en peut dire autant de la perte d’un doigt. Nous avons vu qu’on prend quelquefois les doigts comme trophées ; et la Bible prouve qu’on laissait quelquefois vivre dans l’esclavage des ennemis vaincus mutilés par la perte de doigts. Nous lisons dans