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lieu du tout, lorsqu’on ne peut transmettre le tout par un procédé mécanique, est une cérémonie symbolique ; mais, avant même de recourir à l’interprétation que nous allons en donner, nous pouvons dire que cette cérémonie se rapproche autant que possible de l’acte du transfert effectif. Nous ne sommes pourtant pas obligés de la regarder comme un artifice intentionnellement inventé ; nous pouvons au contraire la rattacher à une cérémonie d’un genre plus simple qui l’éclairé et, à son tour, en est éclairée. Je veux parler de l’acte de donner une partie du corps de l’homme pour faire entendre qu’on en cède la totalité. Aux îles Fidji, lorsque les tributaires s’approchent de leurs maîtres, un messager leur crie : « Il faut que vous coupiez vos tobes (mèches de cheveux qu’ils portent en forme de queue) ! » et ils la coupent. On dira peut-être que cet acte est encore un acte symbolique, un artifice intentionnellement inventé plutôt qu’un acte qui dérive naturellement d’un autre. Poussons notre étude un peu plus loin, et nous rencontrerons le fil qui nous conduira à l’acte d’où il dérive naturellement.

D’abord, rappelons-nous l’honneur qui s’attache à l’homme qui augmente le nombre de ses trophées. Chez les Chochones par exemple, « le guerrier qui prend le plus de chevelures acquiert le plus de gloire. » Rapprochons de ce fait ce que Bancroft dit du traitement que les Chichimèques font subir aux prisonniers de guerre. « Souvent, dit-il, on les scalpe vivants, et leurs bourreaux se mettent sur la tête les sanglants trophées. » Demandons-nous ce qu’il arrive quand l’ennemi scalpé survit et devient la propriété de celui qui l’a fait prisonnier. Ce dernier conserve la chevelure et l’ajoute à ses trophées ; le vaincu devient son esclave, et la perte de sa chevelure est le signe de son esclavage. Voilà les commencements d’une coutume qui peut se fixer lorsque les conditions sociales font trouver au vainqueur un avantage à garder ses ennemis vaincus au lieu de les manger. Le sauvage, conservateur qu’il est, modifiera sa coutume aussi peu que possible. En même temps que l’usage nouveau de réduire en esclavage les captifs s’établit plus fermement, persiste l’usage ancien de couper sur leur corps les parties qui servent de trophées, sans que ce retranchement diminue la valeur de leurs services : en définitive, les traces de la mutilation seront les marques de la subjugation. Peu à peu, à mesure que l’infliction de ces marques s’identifie avec le signe de l’esclavage, on s’habitue à marquer les prisonniers de guerre ; on va même plus loin : on marque aussi ceux à qui ils donnent naissance, jusqu’à ce qu’à la fin le port de la marque soit le signe général de l’assujettissement.

L’histoire des Hébreux nous montre que l’acceptation volontaire