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herbert spencer. — études de sociologie

armes d’après les rameaux verts qu’ils portaient. Ils avaient l’adresse de tenir leurs lances entre leurs orteils en marchant : « Le noir, s’approchant de lui avec des signes d’amitié, traînait entre ses orteils la lance fatale. » Si arbitraire que soit cet usage quand on l’observe dans ses dernières formes seulement, on voit qu’il ne l’est en aucune façon quand on remonte à son origine. Passant pour le témoignage que l’étranger qui s’avance est désarmé, le rameau vert est dès le premier moment le signe que cet étranger n’est point un ennemi. Plus tard le rameau s’unit à d’autres marques d’amitié. Il persiste quand la propitiation se transforme en soumission. C’est ainsi qu’il s’associe à diverses autres actions qui expriment la vénération et l’adoration.

Il faut ajouter encore un fait parce qu’il nous montre avec clarté comment, lorsqu’on ignore les origines naturelles d’une cérémonie, se développe l’interprétation qui en fait une action instituée de propos délibéré, « On fait de grands festins, dit Baker dans sa description des mariages des Arabes, et le malheureux fiancé subit l’épreuve du fouet que lui infligent les parents de la jeune fille, afin d’éprouver son courage… Si l’heureux mari veut passer pour un vaillant homme, il faut qu’il supporte ce châtiment avec une expression de joie ; dans ce cas, la foule des femmes ravies d’admiration poussent des cris aigus. » Nous voyons dans cet usage qu’au lieu de l’enlèvement primitif auquel la femme et ses parents opposent une résistance énergique, au lieu d’une capture réellement opérée, comme chez les Kamtchadales, en dépit des coups et des blessures que « toutes les femmes du village » infligent au ravisseur, au lieu des modifications d’un mode de capture où, dans une poursuite simulée, le ravisseur est plus ou moins maltraité par les poursuivants, nous avons une modification où la poursuite a disparu, et où l’époux reçoit passivement les mauvais traitements. Alors se forme la croyance que le châtiment du fiancé est une épreuve instituée de propos délibéré « pour éprouver son courage ».

Nous ne prétendons pas que ces faits prouvent parfaitement que, dans tous les cas, les cérémonies soient des modifications d’actions qui étaient premièrement adaptées à des fins voulues, ni que le caractère symbolique qu’elles.paraissent avoir, résulte de ce qu’elles ont survécu malgré le changement des circonstances. Je n’ai voulu qu’indiquer, de la manière la plus rapide, les raisons qu’on a de rejeter l’hypothèse régnante qui fait venir les cérémonies d’une symbolisation réfléchie ; et pour justifier la croyance que nous pouvons leur trouver toujours une origine dans l’évolution. Nous verrons par la suite que cette espérance est abondamment justifiée.

Ce qui fait surtout qu’on n’a porté que peu d’attention sur les