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carrau. — moralistes anglais contemporains

de toute confiance, l’opinion du grand nombre devient suspecte. Sans doute, il y aurait excès à la rejeter entièrement ; les contradictions dont on peut l’accuser sont plus apparentes que réelles ; elle n’est pas même aussi inconciliable qu’on serait tenté de le croire avec les enseignements des philosophes ; mais elle est impuissante à fournir les éléments d’un calcul de quelque précision. Bonne peut-être pour la pratique, elle ne saurait tenir lieu d’une méthode ayant le degré de rigueur que la science est en droit d’exiger.

III


Telles sont les difficultés que rencontre, dans le système égoïste, l’application de la méthode expérimentale. Aussi a-t-on parfois tenté d’avoir recours à des principes et à des méthodes à priori. Tout en maintenant le bonheur individuel comme but suprême et unique de l’activité, on a prétendu, par exemple, que le moyen le plus sûr d’y atteindre n’était pas d’établir une échelle comparative des plaisirs et des peines, pour agir en conséquence, mais de pratiquer les préceptes, intuitivement connus, du devoir. La raison exige qu’il y ait un accord définitif entre la vertu et le bonheur ; dès lors, pour arriver à la plus grande somme possible de plaisir, les tâtonnements de l’expérience ne sont plus nécessaires : la vertu suffit.

Le principe rationnel dont on invoque ici l’autorité suppose la croyance à un gouvernement moral de l’univers. Mais cette croyance a elle-même besoin de preuves, et la science de la conduite ne peut rester suspendue à une proposition qui n’a pas encore conquis l’assentiment de tous les philosophes. De plus, il semble bien qu’elle implique le dogme des peines et des récompenses de l’autre vie ; car, aux yeux du genre humain, le cours des événements terrestres ne suffit pas à justifier entièrement la Providence. Or, il serait téméraire de prétendre que l’immortalité de l’âme soit absolument démontrée. On peut soutenir néanmoins que même ici-bas il y a entre la vertu et le bonheur, le malheur et le vice, une harmonie assez constante pour que le choix de la vertu soit encore, somme toute, le plus conforme à la prudence. Accordons que l’homme vertueux puisse être souvent placé dans des circonstances telles qu’il soit moins heureux que d’autres moins vertueux que lui ; s’il était vrai qu’il atteignît par sa vertu à la plus grande somme de bonheur qui soit possible en ces circonstances, l’accord définitif du bonheur et de la vertu serait prouvé.

En ce qui concerne les devoirs de l’homme envers soi-même, on