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carrau. — moralistes anglais contemporains

la plus grande quantité possible de plaisir. Il est naturel, il est même désirable qu’au moment même de la poursuite, ces biens extérieurs nous apparaissent non comme moyens, mais comme fins dernières ; si, en effet, nous n’avions en vue, dans nos efforts pour les atteindre, que le plaisir qu’ils promettent, ce plaisir nous semblerait souvent trop peu de chose au prix de l’énergie déployée, et nous risquerions de tomber dans une inertie fatale, où périrait, avec l’activité, le plaisir même dont elle est l’essentielle condition ; néanmoins, quand il s’agit de comparer entre eux ces différents biens, pour les combiner en un large et harmonieux système de fins, et pouvoir, en cas de conflit, décider auquel donner la préférence, il ne reste toujours, semble-t-il, que le critérium subjectif du plaisir.

Le principe de l’égoïsme est ainsi nettement déterminé ; il est unique, malgré la.diversité des formes que peut revêtir le système. Il n’en est pas de même de la méthode : plusieurs sont possibles. L’homme peut chercher à obtenir la plus grande somme de plaisir, sans, pour cela, calculer, d’après son expérience acquise, la quantité de sensations agréables ou pénibles qui résultera pour lui de telle ou telle conduite. Il peut croire, par exemple, que le plus sûr moyen d’attendre la fin qu’il se propose, c’est d’observer les préceptes soit d’une religion positive, soit de la religion naturelle, convaincu qu’un Dieu juste et bon a combiné toutes choses de manière qu’à la longue le bonheur soit pour chacun en proportion de la vertu ; telle est la doctrine de Paley ; il peut encore, par un raisonnement a priori dégagé de tout élément théologique, affirmer l’harmonie nécessaire de la vertu et du bonheur : c’est la théorie d’Aristote. Il peut enfin estimer que le maximum du plaisir est l’effet infaillible du développement parfaitement régulier et de l’exercice harmonieux de. toutes les fonctions, tant physiques que mentales ; en ce cas, l’objet de la méthode n’est pas de comparer des plaisirs particuliers, mais de déterminer ce qu’il convient d’entendre par un développement parfaitement régulier et une harmonie de fonctions. — Ces différents procédés, on le voit, ne sont plus empiriques, mais déductifs. Néanmoins, tous, en dernière analyse, font appel à la conscience, au moins pour confirmer et vérifier leurs résultats. Et comme le plaisir et son intensité sont des faits d’expérience, connus par le sens intime et la réflexion, la méthode naturelle de l’hédonisme égoïste est ce que l’auteur appelle une méthode empirico-réflexive ; c’est elle qu’il faut tout d’abord soumettre à un rigoureux examen.

Un principe domine toute cette méthode : c’est que tous les plaisirs et toutes les peines sont commensurables, et que nous pouvons les disposer selon une échelle qui permette de déterminer notre