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ce qui doit être, en tant que cela dépend des actes volontaires des individus.

Le postulat fondamental de la morale, c’est que, certaines circonstances étant données, il y a quelque chose qui doit être fait, et que ce quelque chose peut être connu.

Le doit être, impliqué dans tout jugement moral, exprime, en un sens, une non-existence ; mais, en un autre sens, il exprime une réalité véritable, objective, puisqu’il est objet de science ; par suite, il se confond avec le but, quel qu’il soit, que les hommes peuvent raisonnablement se proposer d’atteindre. Je dis raisonnablement, car on conçoit que les fins les plus variées, les plus diverses puissent solliciter l’activité ; mais un petit nombre seulement ont ce caractère d’être connues et acceptées comme raisonnables, et celles-là sont les mêmes pour tous les hommes. Les déterminer, c’est marquer du même coup les différents systèmes et les différentes méthodes possibles en morale.

Par exemple, beaucoup sacrifient la santé, la richesse, le bonheur même, à la poursuite de la réputation. Pourtant, le sens commun proclame que la réputation n’est pas chose désirable en soi, mais comme moyen de bonheur ; le bonheur, en ce cas, est donc, de l’aveu de tous, la seule fin vraiment rationnelle. Mais l’individu peut se proposer soit son propre bonheur, soit le bonheur général. Voilà donc déjà deux fins rationnelles, deux systèmes possibles de morale. Ce n’est pas tout. Indépendamment du bonheur, tous les hommes reconnaissent que l’excellence ou la perfection est chose désirable par elle-même ; de là encore deux fins rationnelles, car l’individu peut rechercher ou bien sa perfection, ou bien celle de tous les êtres. — Enfin le sens commun reconnaît à priori certaines règles de conduite comme obligatoires, abstraction faite des relations qu’elles peuvent avoir avec une fin quelconque. — Chacun de ces systèmes implique une méthode différente ; la morale égoïste, par exemple, devra déterminer les moyens par lesquels l’individu atteindra le plus sûrement son bonheur, et c’est là l’œuvre propre d’une méthode qui ne se confondra pas avec celle du système de l’intérêt général, ou de la perfection. Il y aurait donc, d’après ce qui précède, cinq méthodes de morale ; mais elles se réduisent facilement à trois. En effet, aucun moraliste sérieux n’a jamais proposé la perfection universelle comme fin de l’activité libre ; c’est là un système qui, pratiquement, doit être écarté. De plus, la doctrine de la perfection individuelle se confond avec celle qui proclame que certaines règles de conduite doivent être observées indépendamment de toute fin ; en d’autres termes, la perfection individuelle, c’est la vertu, et les mora-