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herbert spencer. — études de sociologie

changent de nom avec les Européens, en témoignage de leurs sentiments fraternels. Cet usage extrêmement répandu vient de la croyance que le nom est une partie de l’individu. Posséder le nom d’un homme c’est la même chose que de posséder une portion de son être, et cela met le possesseur à même de lui faire du mal ; et de là vient que chez beaucoup de peuples les gens s’étudient à cacher leurs noms. Donc, échanger des noms c’est faire participer autrui à son être propre, et en même temps lui confier le pouvoir sur soi-même : ce qui implique une confiance réciproque.

Il est d’usage à Vate, « quand on veut faire la paix, de tuer un ou plusieurs individus de la peuplade, et d’en envoyer les corps à ceux avec qui on combattait pour qu’ils les mangent. » Aux îles Samoa, « c’est la coutume, quand un parti fait sa soumission à l’autre, que le vaincu se prosterne devant le vainqueur, en lui présentant un morceau de bois à brûler et un paquet de feuilles, de celles dont on se sert pour envelopper les cochons quand on les cuit au four (on y ajoute quelquefois des couteaux de bambou) ; comme si l’on disait « tuez-nous et faites-nous cuire, si vous voulez. » Je cite ces faits parce qu’ils montrent bien un point de départ d’où pourrait naître une cérémonie qui aurait l’air d’être artificielle. Que les traditions du cannibalisme chez les Samoans viennent à disparaître, et la persistance de la coutume d’offrir du bois à brûler, des feuilles et des couteaux, en signe de soumission, pourrait, en vertu de la méthode ordinaire d’interprétation, passer pour une observance instituée délibérément.

La paix a pour signe chez les Dacotahs un tomahawk qu’on enterre, et chez les Brésiliens un présent d’arcs et de flèches. On peut dire que ces actes sont des symboles, mais aussi que ce sont des modifications de l’action symbolisée ; en effet, quand on met de côté les armes on cesse nécessairement de combattre ; de même quand on donne ses armes à l’adversaire. Si, chez les peuples civilisés par exemple, le vaincu rend son épée, l’acte par lequel il se dépouille de ses moyens de défense est un acte de soumission personnelle ; mais il finit par devenir, quand c’est un général qui l’accomplit, le signe de la reddition de son armée. Pareillement, lorsque, comme dans certaines parties de l’Afrique, « des blancs libres deviennent esclaves volontairement rien qu’en accomplissant la cérémonie qui consiste à casser une lance en présence de leur futur maître, » nous n’avons pas tort de dire que la relation que cet acte établit artificiellement, se rapproche autant que possible de celle qui se trouve réalisée quand un combattant fait prisonnier et réduit en esclavage l’ennemi dont l’arme est brisée. L’acte symbolique simule l’acte réel.