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la pudeur outragée à la haine, de la débauche à la cruauté et vice versa, de l’amour sensuel au sentiment religieux. Dans tous ces cas, l’effet produit est toujours égal à la force dépensée, et de petits effets ne se changent qu’en de petits événements, tandis que les incendies de la passion, s’ils cessent d’apparaître sous forme de flamme, sont toujours du feu, quelque apparence qu’ils revêtent. Plus est grande la mobilité sensitive de l’individu, plus est rapide et facile la transformation ; plus un sentiment est tenace et ancien, plus au contraire il est difficile de le transformer.

Dans la transformation des sentiments se pose le grand problème de l’identité de la force, qui avait déjà préoccupé pendant tant d’années l’esprit des physiciens. La haine, l’amour, la luxure, la cruauté sont-elles autant de forces distinctes, ou bien ne faut-il voir en elles que des formes d’une seule force ? Dans le sens mécanique, je crois pouvoir répondre que ces énergies ne sont, comme les autres forces physiques, que du mouvement, mais que, dans le sens empirique, dans le sens de la forme, le problème est peut-être encore insoluble. Quelques faits plaideraient en faveur de l’unité des forces, puisqu’il y a des cerveaux apathiques à une sorte d’émotion particulière, unis à des natures en tout passionnées, et que d’autre part il y a des hommes qui ne sentent fortement qu’une seule émotion et sont muets à toutes les autres vibrations du cœur. Une sensation presque indifférente d’abord peut, si l’excitation croît par degrés, devenir plaisir, volupté, douleur, déchirement. C’est l’histologie du cerveau qui devra résoudre ce problème ardu ; mais, à l’heure qu’il est, je regarde comme très-probable que, comme les diverses affection, ayant des centres anatomiques différents, doivent avoir aussi diverses natures en tant que manifestées ; comme la lumière se distingue pour nous de la chaleur, bien que nous sachions que ce sont deux formes de mouvement ; ainsi la haine et l’amour peuvent être étudiés à part et distingués l’un de l’autre, quoiqu’ils puissent et doivent être des formes d’un même mouvement.


VII. — Les sentiments sont tous des phénomènes psychiques accompagnés de conscience ; ils peuvent donc être employés en partie à la formation des idées et par conséquent des pensées, qui ne sont pas autre chose que des combinaisons d’idées. L’idée d’un sentiment est l’élément physique ou mathématique qui l’accompagne. Imaginez un miroir qui reflète les rayons de lumière et de calorique, mais qui en même temps conserve la forme de l’objet d’où émanent ces rayons. Cette image est scientifiquement exacte, puisque les dernières découvertes histologiques sur la structure de la rétine ont