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mantegazza. — transformation des forges psychiques

d’espace. Les cinq sens nous donnent cinq ordres d’idées diverses, et une induction successive nous donne des idées de premier, de second, de ne ordre. C’est une espèce d’analyse progressive ou de distillation de plus en plus subtile qui nous donne par exemple l’échelle d’idées suivante : cette pomme, une pomme, un fruit, un aliment, un produit végétal, un produit organique, un produit organique, un objet naturel, un corps rond, un corps, un être ; la dernière idée qui puisse être pensée par un cerveau humain, mais à laquelle n’atteignent pas le plus grand nombre des esprits dans les diverses races humaines.

Nous pouvons changer ou rendre plus intime une sensation de deux manières différentes : ou en faisant croître l’intensité de l’impression, ou en faisant croître la sensibilité du centre qui doit la recevoir. Je puis rendre le parfum du jasmin plus aigu, soit en sentant cent fleurs en une fois, soit en augmentant ma sensibilité olfactive par une longue privation de fleurs, ou par l’absorption d’une forte dose de café. Je puis transformer une sensation confuse en une idée précise, soit en répétant un nombre infini de fois la même sensation, soit en perfectionnant par l’éducation le centre nerveux qui reçoit et transforme la sensation.

Il est facile de deviner quelles idées sont le produit de la transformation des sensations. Avant tout, ce sont les idées naturelles, celles qui appartiennent au territoire spécial de chaque sens. Les sensations de la vue se transforment en idées esthétiques et mathématiques, les sensations musicales en idées harmoniques, et ainsi de suite. D’autre part, des idées indirectes naissent ensuite par association, c’est-à-dire par sympathie de nature ou par contrastes ; mais ces idées secondaires peuvent être simultanées aux idées directes ou apparaître d’elles-mêmes, en masquant les premières. Imaginez une mèche qui passe inutilement devant une première fusée qu’elle doit allumer et qui va au contraire en des points plus ou moins éloignés enflammer des pétards et des girandoles qui étaient plus écartés de l’endroit auquel fut transmise l’étincelle excitatrice.


V. — Que les sentiments puissent se transformer en sensations, c’est ce qui peut sembler un paradoxe : une telle transformation est un fleuve qui remonte à sa source, une racine qui se tourne vers le ciel, un corps grave qui s’éloigne du centre de la terre. Cependant le mécanisme cérébral est si compliqué, que même ce cas se réalise, bien que presque toujours dans des cas pathologiques ou du moins dans des conditions d’exaltation extrême ou de très-vive excitabilité