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sur la transformation d’une même sensation en forces centrifuges de nature diverse, essayez de montrer un objet quelconque, par exemple un petit oiseau, à un groupe de personnes d’âge, de caractère et de sexe différents. Vous entendrez ces exclamations diverses : Oh ! qu’il est beau ! — Oh ! le cher petit ! — Combien coûte-t-il ? — À quelle espèce appartient-il ? etc., etc.

En étudiant profondément toutes les énergies affectives dans lesquelles se changent les sensations, on peut acquérir la conviction que l’on est en présence d’une vraie transformation de forces quand la sensation atteint directement son centre physiologique propre, tandis qu’au contraire il y a excitation d’autres régions quand la sensation s’irradie en un centre qui n’est pas son centre propre, mais qui est chargé de forces à l’état de tension prêtes à se déployer à la moindre secousse. Il semble que, dans le premier cas, c’est la sensation même qui se transforme en mouvement, tandis que, dans le second, elle joue le rôle d’étincelle excitatrice. Ainsi la vue d’un tableau de Raphaël excite directement et à un haut degré le sentiment esthétique, tandis que la vue d’un bel enfant fait pleurer indirectement, mais amèrement une mère qui a perdu son fils.

Je n’insiste que sur les lois générales qui gouvernent la transformation des sensations en sentiments, parce qu’un vocabulaire plus volumineux que le dictionnaire de la Crusca ne suffirait peut-être pas à nous fournir le catalogue complet de toutes les transformations possibles. Qu’il nous suffise d’indiquer les voies principales par lesquelles se répandent la sensation et l’énergie diverse des changements auxquels elle donne lieu ; une fois les lois générales connues, on pourra toujours dans chaque cas particulier tracer là marche du phénomène et l’expliquer tout entier depuis le premier moment où. il apparaît jusqu’à celui où il s’éteint dans l’inertie de la matière cérébrale.


IV. — Les sensations, qu’elles soient externes ou internes (organiques), primitives ou reproduites, ne se changent en idées que si elles durent un certain temps et ont une certaine intensité. Il ne peut y avoir de mémoire sans conscience, car la première n’est que la continuation de la seconde. Les sensations fugitives et incertaines ne donnent point lieu à des idées ou ne donnent lieu qu’à des idées fugitives et incertaines. Les mouvements du cœur, du poumon, du foie ne donnent point naissance en nous à des idées, et de même les idées qui se rapportent à de légères odeurs et à de légères saveurs sont peu précises. D’autre part, les seules sensations de la vue et du tact et celles de l’ouïe qui sont rhythmiques nous donnent les idées