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larmes, à titre de signe de joie, deviennent quelquefois une observance de politesse flatteuse. Nous en trouvons le commencement dans les traditions hébraïques, par exemple dans la réception de Tobie par Raguel, quand celui-ci reconnaît en Tobie le fils de son cousin : « Alors Raguel s’avança, et l’embrassa en criant et pleura. » Chez certaines races, un rite social naît de cette racine. Dans la Nouvelle-Zélande, une rencontre « commence par un chaleureux tangi entre les deux parties ; mais après qu’elles sont demeurées assises en face l’une de l’autre pendant un quart d’heure ou plus, à crier fort, en poussant des gémissements et des lamentations à fendre l’âme, le tangi se transforme en un hungi, et les deux connaissances se compriment le nez en émettant des grognements de satisfaction. » Voilà un usage qui devient une cérémonie publique à l’arrivée d’un grand chef : « Les femmes se tenaient sur une colline, dit Angas, et long et bruyant fut le tangi de la bienvenue à l’approche du chef, mais de temps en temps elles s’interrompaient pour causer un peu et pour rire, puis elles se remettaient machinalement à pleurer. » D’autres peuplades malayo-polynésiennes ont le même usage.

À ces exemples de la façon dont certaines manifestations naturelles des émotions donnent naissance à des cérémonies, on peut ajouter d’autres exemples de la manière dont celles qui ne sont pas reflet direct d’actions spontanées, en dérivent néanmoins par une suite naturelle, mais non par voie de symbolisation voulue. Il suffira de les indiquer brièvement.

Livingstone nous apprend que, dans l’Afrique centrale, les gens créent entre eux des relations de consanguinité en buvant un peu du sang les uns des autres. Il existe à Madagascar, à Bornéo, et sur divers autres points du monde, une manière analogue de contracter la fraternité ; et elle existait chez nos ancêtres. On veut y voir une observance symbolique. Mais quand on étudie les idées primitives, et qu’on voit, comme nous l’avons vu, l’homme primitif croire que la nature d’une chose pénètre toutes les parties de cette chose, et en conséquence s’imaginer qu’il gagnera le courage d’un ennemi brave, en mangeant son cœur, ou s’inspirera des vertus d’un parent décédé en pilant ses os et en en buvant la poudre dans de l’eau, on comprend que d’autres s’imaginent, qu’en buvant le sang les uns des autres, ils établissent entre eux une communauté de nature ; et que, du moment qu’ils possèdent une partie l’un de l’autre, ils acquièrent aussi un pouvoir l’un sur l’autre.

Il en est de même de la cérémonie de l’échange des noms. Chez les Chochones, « le plus grand compliment qu’un homme puisse faire à un autre est de lui prêter son propre nom. » Les Australiens