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L’ouïe voit ses sensations propres se transformer en d’autres relevant des territoires musculaires, et une quantité donnée de sons harmoniques se changent en mouvements rhythmiques, soit dans la danse, soit dans le chant de la voix ; d’autres fois cependant, le frôlement d’une robe de soie peut se changer en une sensation érotique des plus intenses. Dans les individus épuisés par de fortes pertes de sang ou par des excès de travail ou d’amour, l’hyperesthésie de l’oreille s’élève au point de transformer le plus léger bruit en spasmes généraux, en douleurs et en convulsions. Une salle de bal, dans toute la splendeur des beautés qui s’y pressent et dans le tourbillon des harmonies qui s’y font entendre, est une équation excessivement complexe de transformations de forces psychiques qui exigerait tout un volume d’analyses et d’explications. Si quelque femme gracieuse a le courage de pousser jusqu’ici la lecture de mon article, elle sera épouvantée en me voyant comparer un bal à une équation ; mais la rose ne cesse pas d’être une merveille de beauté pour être une transformation d’ammoniaque et d’eau en parfums et en pétales.

La vue a un champ d’associations illimité, et une partie des phénomènes sensibles qui lui sont attribués se transforment en sensations d’ordres divers. L’œil est un tel transformateur que, à peine a-t-il reçu une image dans son miroir magique, il peut la transmettre aussitôt aux organes de l’amour, au goût, à l’ouïe, au toucher, à l’odorat. Un rayon de soleil trop vif se change en un éternument, comme une image blonde et rose peut se changer en un profond soupir. Dans toutes ces transformations multiformes, je n’ai jamais parlé de plaisir ou de douleur, parce que ces phénomènes ne sont jamais des sensations par eux-mêmes, mais seulement des caractères accompagnant d’autres phénomènes sensibles. Si je caresse une chevelure soyeuse et que j’en éprouve du plaisir, et si d’autre part je froisse du sable rude et que j’en ressente de la douleur, je ne puis ni ne dois dire que la sensation tactile se soit changée en plaisir et en douleur, mais que la sensation elle-même est agréable ou pénible. Et cela est si vrai, qu’il suffit de changer le degré du contact pour transformer le plaisir en douleur, et vice versa.


III. — L’étude des transformations des sensations en sentiment est très-intéressante et éclaire pour nous ces épaisses ténèbres qu’il est de mode depuis assez longtemps d’appeler les mystères du cœur. Les énergies centrifuges qui répondent aux sensations extérieures sont toutes des transformations de mouvements moléculaires, soit qu’elles se réduisent aux réflexes automatiques de l’éternument, du rire, de l’occlusion des paupières, du mouvement rhythmique des mus-