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mantegazza. — transformation des forges psychiques

nons un fait ; nous le croyons le moment le plus important du phénomène, et il se trouve qu’il n’est que le contre-coup lointain d’un phénomène caché. Nous croyons mettre le doigt sur le moment le plus important d’un phénomène moral, et nous ne voyons que l’effort destiné à cacher le fait qui nous échappe ; nous nous imaginons avoir découvert la cause, et ce que nous prenons pour elle n’est que l’effet de cent causes qui se sont succédé rapidement. Et cette source féconde d’erreurs n’est pas la seule. Quand nous observons l’homme, soit le seigneur moi, soit un autre quelconque, nous ne pouvons nous déprendre de notre nature humaine, et la haine et l’amour, l’orgueil et le mépris, et toutes les innombrables actions et réactions que les hommes exercent les uns sur les autres détournent l’attention de l’examen scientifique du phénomène pour la porter dans le champ de la passion, qui sent, mais ne raisonne pas.

La forme tient une si grande place dans la pensée et dans la passion, qu’il est difficile de la distinguer du contenu ; et, de plus, les oscillations du temps sont si rapides dans les phénomènes moraux, que c’est une entreprise laborieuse d’en suivre la succession. L’attention et l’ordre dans l’observation sont d’autant plus nécessaires en psychologie que les phénomènes y sont plus complexes et formés d’une série infinie d’éléments des plus changeants dans leurs proportions et dans leurs rapports. L’attention est un accroissement d’intensité dans l’exercice des sens et de la pensée, tandis que l’ordre est l’hygiène de l’intelligence, l’étoile polaire de la science. Sans ordre, point de bonne observation ; sans ordre, le génie lui-même peut avorter, si toutefois un génie dépourvu d’ordre a jamais pu exister. Et une observation mal faite n’a pas seulement une valeur négative ; elle a une valeur positivement mauvaise et peut à elle seule introduire un élément perturbateur dans une longue série de bonnes observations. Zimmermann l’a dit : un grand nombre de faits mal observés servent moins l’expérience qu’un petit nombre d’observations soigneuses et exactes. Les observations inexactes ont peut-être plus nui au progrès de la psychologie que tous les systèmes philosophiques réunis. Un système est toujours une route que l’on peut suivre, où l’on peut avancer : un fait mal observé est un élément de perturbation et de défiance, qu’on met des années et des siècles à chasser du sanctuaire de la science où il s’est traîtreusement introduit. Souvent il faut abattre un mur pour enlever une pierre qui s’effrite et menace la solidité de tout un édifice.

Tout cela peut paraître une vaine répétition de choses que tout le monde sait, que tout le monde comprend ; mais, quand je lis bien des travaux de psychologie, j’éprouve le besoin de me répéter à moi-