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ESSAI

SUR LA

TRANSFORMATION DES FORCES PSYCHIQUES




Dans l’histoire de la pensée humaine, la philosophie est un chaos gigantesque d’où se sont échappées mille énergies et d’où le souffle créateur de Fiat lux répétés a fait sortir des sciences nouvelles, des arts à l’infini, des inspirations pour le poëte et des règles pour le gouvernement des peuples. Quand cette féconde mère aura mis au monde tous les enfants dont elle cache le germe dans son vaste sein, elle disparaîtra de l’histoire, laissant peut-être, comme seule trace visible de sa longue existence, le son d’un mot, qui voudra dire méthode, propédeutique ou quelque chose d’approchant.

Parmi les dernières nées de ses filles, l’une des plus belles, des plus légitimes, est la psychologie. Pourtant, beaucoup se demandent encore, à l’heure qu’il est, si elle a vraiment le droit de s’appeler du nom de science et de s’asseoir parmi ses sœurs qui scrutent le comment et le pourquoi des formes et des choses de ce monde.

Il semble à ces sceptiques que ses méthodes d’observation ne sont pas bien sûres, que les limites de son domaine n’ont pas encore été tracées d’une main ferme, qu’enfin la connaissance de la pensée et du sentiment est plutôt une aspiration qu’une doctrine. Les impatiences des psychologues modernes sont vives et irrésistibles ; on croirait voir une troupe d’enfants qui, après avoir pendant des jours tourné autour du mur qui enclôt un verger plein de tous les fruits de la création, découvrant enfin une petite porte mal fermée, se jettent au travers impétueusement et brûlants d’une insatiable curiosité. N’en est-il pas de même du champ jusqu’ici fermé du cerveau humain ? Les traditions religieuses, les ontologismes, les mille travestissements de l’Ipse dixit, nous ont longtemps tenus écartés du verger aux fruits d’or, le plus splendide que puissent rêver jamais la faim de la science et la soif de connaître.