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Ferrier, Charcot), l’aphasie (Bouillaud, Broca), les illusions sensitives de la vue, du tact et de l’ouïe (J. Müller, Graefe, Helmholtz), l’influence de la circulation cérébrale sur la pensée (Brown-Séquard, Byasson, Hammond), les changements dans la tension électrique des centres nerveux sous l’influence des sensations (Dubois-Reymond, Schiff), les formes du concept modifiées par les états pathologiques (Esquirol, Moreau, Luys, Falret), et bien d’autres faits encore qui constituent les premiers linéaments d’une science ébauchée à peine, mais qui fait de rapides progrès. À ceux qui tâchent de la nier, elle pourra, comme le philosophe antique qui prouvait le mouvement en marchant, prouver son existence, en existant.

L’observation et l’expérience : tels sont les deux termes auxquels il faut toujours revenir. Soit qu’on observe les phénomènes extérieurs que les sens nous présentent, soit qu’on étudie les phénomènes de la conscience interne qui nous sont révélés par la réflexion, le résultat est le même, et chaque observateur vient apporter son contingent à la science, qui, sans jamais faire un pas en arrière, s’enrichit ainsi chaque jour. Quant à la psychologie métaphysique, qui, partant d’une majeure non démontrée, s’appuie sur une mineure non démontrée, pour aboutir à une conclusion contestable, ce n’est pas de la science. C’était ainsi jadis qu’on faisait de la chimie et de la physiologie. Le résultat a été ce qu’on sait, jusqu’au jour où Lavoisier et Harvey ont fait plier les faux raisonnements devant l’autorité des faits. Il en est de la psychologie comme de la chimie et de la physiologie : les raisonnements vagues et les conjectures métaphysiques n’ont pas plus de valeur pour connaître l’homme moral que pour connaître l’homme physique. Pour tout ce qui est phénomène naturel, pour l’âme comme pour le corps, un fait certain l’emporte sur un raisonnement douteux. La nature est assez riche en vérités pour nous réserver bien des étonnements qui confondront les syllogismes les mieux bâtis, car, selon la belle expression de Pascal, l’imagination se lasserait de concevoir plutôt que la nature de fournir.

J’espère que M. Egger m’accordera cette conclusion. Il n’y a de véritable progrès que si, au lieu de rester dans le vague, la science psychologique se limite à l’observation approfondie des phénomènes de conscience et des faits physiologiques. Hors de là, tout est faux, obscur et incertain, et il n’y a pas de science. C’est pour défendre le principe de cette méthode expérimentale que j’avais critiqué le travail de M. Egger. Ce principe, je l’avais cru attaqué, et je ne demande pas mieux que de m’être trompé.

Charles Richet.
Le propriétaire-gérant,
Germer Baillière.