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correspondance

si j’avais l’habitude de mettre les axiomes à la fin et de me passer d’eux d’abord, pour y arriver plus sûrement ensuite. Mais ce prétendu axiome est, lui aussi, une conclusion, et l’axiome dont je suis parti (car je pars des axiomes, je n’y arrive pas) peut s’exprimer ainsi : L’hétérogène n’explique pas l’hétérogène ; ou : une explication est d’autant plus insuffisante qu’il y a une plus grande différence de nature entre la chose expliquée et la chose par laquelle on l’explique.

Maintenant, voici le raisonnement : Or l’esprit humain ne connaît pas de plus grande différence que celle qui résulte de la présence dans un cas et de l’absence dans un autre cas, de l’étendue. Donc, de toutes les explications possibles, celle des faits psychologiques par les faits physiologiques est la moins satisfaisante. De plus, entre l’étendu et l’inétendu (je parle de l’étendue des choses matérielles ou des sensations, non de l’étendue géométrique), l’esprit humain ne connaît pas de transition. Expliquer les faits psychologiques par les faits physiologiques suppose un moyen terme semi-étendu, semi-inétendu, inconcevable, ou plutôt une série infinie de moyens termes formant entre l’étendu et l’inétendu une transition continue, série non moins inconcevable. Donc, — et voici la conclusion, — aucune découverte ne pourra établir un lien entre le cerveau ou sa fonction, étendus l’un et l’autre, et la pensée, inétendue.

Voilà le raisonnement ; je ne l’ai pas inventé, mais appris de deux écoles respectables et nullement ennemies de l’expérience, l’école de Stuart Mill et l’école criticiste. Qui n’en est pas touché fera bien de méditer un passage de la Logique de Stuart Mill, chapitre des sophismes (t. Il, p. 358-360, trad. Peisse), qui peut se résumer ainsi : Prouver qu’un phénomène en conditionne un autre n’est pas expliquer celui-ci, car ce n’est pas expliquer la nature du second en tant qu’elle lui est propre, en tant qu’elle est distincte de la nature du premier ; autre est le rapport de condition, autre est le rapport de nature ou d’essence. — J’ajouterai, d’accord avec l’école de Stuart Mill, même avec H. Spencer, bien qu’il oublie quelquefois qu’il a admis tout d’abord ce principe, que l’activité cérébrale ne doit même pas être considérée comme la condition de la pensée, car une condition préexiste à son effet, mais seulement comme le fait simultané à la pensée qui lui correspond dans une série d’une toute autre nature spécifique ; ainsi, cette espèce inférieure d’explication qui consiste, non pas à ramener un fait à un autre, à l’identifier au fond à un autre, mais simplement à le conditionner par un autre plus ou moins différent, n’est pas applicable aux faits inétendus. Voilà pourquoi on peut affirmer a priori que l’âme et la matière sont et seront toujours irréductibles, tandis que, pour affirmer que la matière vivante est irréductible à la matière brute, l’une et l’autre étant étendues, il faut raisonner a posteriori ; c’est ce qu’ont fait, chacun à un point de vue différent, M. Pasteur et M. Cl. Bernard. Ce que M. Richet appelle la « méthode logique », ce qu’en bon français on appelle le raisonnement a priori, serait déplacé dans la question de la