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lois de la nature et donne une réalité à l’impossible, soit sortie de la nature, travaillant selon ses lois nécessaires et invariables ? Un simple jeu de forces mécaniques peut bien produire une machine très-compliquée, mais non une puissance libre, indépendante des lois du mécanisme, qui l’aurait formée. Si l’imagination ne peut être sortie des combinaisons de la matière, ne peut-elle pas être considérée comme un pouvoir dérivé et secondaire de l’esprit ? Nos études antérieures nous permettent de répondre négativement à cette question. Ce n’est ni des sens, ni de la mémoire, ni de l’entendement, ni de la sensibilité, ni de la volonté, qu’elle pourrait être dérivée, puisque, nous l’avons vu, toutes ces facultés ont besoin d’elle pour entrer en acte ; puisque sans elle toutes sont comme si elles n’existaient pas, à l’état de pure virtualité, sans matière, sans excitation, sans force pour se mouvoir et accomplir leur œuvre. L’imagination ne peut avoir son origine ni dans la matière, ni dans un pouvoir subjectif de l’esprit ; mais la nature nous révèle une puissance qui offre avec elle les plus grandes analogies : c’est celle qui, travaillant les éléments inorganiques, fait sortir de leurs combinaisons les êtres individuels et déploie la richesse infinie des formes vivantes. Ce sont deux puissances de créer des images, d’inventer des formes, d’organiser des éléments ; mais les œuvres de l’une n’ont qu’une existence subjective dans notre conscience individuelle, tandis que les œuvres de l’autre se réalisent en naissant, se mettent à vivre d’une vie originale, se meuvent dans l’espace, se prolongent à travers la durée. Ce qui distingue encore ces deux sortes d’imagination, c’est que celle qui travaille dans la nature n’agit qu’en se soumettant aux lois des forces physico-chimiques, tandis que l’homme peut s’affranchir de toutes les lois et n’obéir qu’au libre caprice de sa fantaisie. Qu’elles soient cependant en une étroite parenté et en une action réciproque, c’est ce que prouve la double nature de l’homme, l’union en lui et les mutuels rapports de l’organisme et de l’esprit. L’imagination subjective et libre peut être regardée comme la forme la plus haute de l’imagination objective et réelle : elles sont identiques dans leur essence, différentes seulement par le degré de leur développement, par le mode de leur action.

Bien que l’imagination dans l’homme soit en une certaine mesure dérivée, puisqu’elle n’existe que par les progrès successifs d’une force primitive, elle ne perdrait pas son caractère de principe, s’il était établi que l’imagination objective, dont elle naît directement et avec laquelle elle est identique dans son essence, est une puissance première, qui ne peut être dérivée d’aucun élément, d’aucune force, d’aucune combinaison d’éléments ni de forces. Si l’imagination subjective n’est que la manifestation la plus haute du principe créateur des formes organiques et n’en diffère que par la conscience et par le caractère subjectif de ses représentations, il est clair que la cause (imagination objective) ne peut, pas plus que son effet, être expliquée par la matière et ses combinaisons. Les faits s’accordent avec le rai-