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qui donne au rien, au non-être une existence dans la pensée-, c’est elle qui fait apparaître dans l’esprit un monde artificiel, qui est son œuvre, une sorte de fantasmagorie sans autre réalité que celle qu’elle lui donne. Elle est la divinité qui fait sortir du néant cette ombre de l’être, l’anime pour quelques instants de sa vie, lui communique quelque chose de sa puissance, et la transforme en une force agissante. L’erreur ne peut avoir aucune cause objective, elle doit donc être l’œuvre de la liberté de l’esprit ; elle ne peut venir du dehors, elle vient donc de nous ; elle n’est pas dans ce qui est, elle est donc dans ce qui pense. Née de la faculté de créer de rien quelque chose, elle atteste la grandeur de l’esprit, qui a des faiblesses de dieu, des impuissances de créateur.

Si l’esprit témoigne de sa liberté par l’erreur, il l’atteste mieux encore quand, revenant sur son œuvre prématurée, il corrige ses jugements téméraires, retire ses affirmations précipitées, et construit en lui-même un monde intérieur, en accord avec la réalité. « L’erreur est possible, parce que l’imagination représente le non-être comme existant et fait ainsi de rien quelque chose pour la pensée. Mais c’est ce rien aussi qui rend possible la négation totale ou partielle, et c’est sur la négation que repose la faculté de découvrir la vérité, de la connaître de plus en plus et de la séparer de l’erreur, dont peu à peu on s’affranchit entièrement. Ce résultat est atteint par la puissance qui crée la négation, qui la rend féconde pour la vérité, en lui donnant la force de supprimer l’affirmation fausse. Ainsi c’est à l’imagination qu’il apparie tient de supprimer l’erreur qu’elle a produite, grâce à son pouvoir de faire de rien quelque chose pour la conscience. » Ici, l’obscurité dans l’expression vient de ce que la pensée est difficile à saisir. Quand je nie, selon l’auteur, il n’y a rien de positif dans mon esprit, il n’y a dans ma pensée aucune réalité ; d’où vient donc que je puisse rejeter l’affirmation fausse, qui a, du moins dans la pensée, une existence réelle ? N’est-ce pas parce que je puis donner au rien, à la simple négation, une existence et une activité ? n’est-ce pas parce que le néant même emprunte à l’esprit quelque chose de son être et devient ainsi une force et une réalité ? Le néant peut être pensé ; mieux encore, il peut vivre et agir en nous. C’est cette obscurité dans l’idée qui rend le langage difficile à entendre. En accordant à l’auteur que. l’erreur, comme sa correction, vient de la liberté de l’esprit, se manifestant par l’imagination créatrice, est-il nécessaire d’admettre que nous pensions le rien abstrait, le néant proprement dit ? Que serait cette pensée sans contenu et sans objet ? — Pour corriger l’erreur, ne suffit-il pas qu’à une hypothèse fausse l’esprit oppose une hypothèse plus conforme à ses propres lois et à la réalité objective, c’est-à-dire qu’il fasse surgir en lui-même une sorte de monde intérieur, dont l’apparition fasse rentrer dans le néant ses créations primitives ? On objectera qu’on peut nier une erreur sans lui opposer une affirmation positive, et renverser sans rien édifier ; est-ce à dire que le néant devienne alors pour l’esprit une sorte d’instrument de destruction ? n’est-ce pas plutôt que l’esprit s’oppose lui