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REVUE PHILOSOPHIQUE

Ce ne fut pas seulement en Allemagne que le livre de Strauss rencontra le plus favorable accueil. M. Renan, avec lequel Strauss était entré en rapports peu auparavant par l’intermédiaire de Charles Ritter, l’appréciait en ces termes dans une lettre en date du 31 juillet 1870 : « Peu de lectures m’ont fait autant de plaisir que celle de ces pages pleines d’esprit, de finesse et de tact, où le vrai caractère de notre grand homme du xviiie siècle, si souvent méconnu, est admirablement rétabli. Voltaire a dans ses qualités et ses défauts des côtés si profondément français, qu’il pouvait sembler impossible qu’un étranger ne commît pas en le jugeant quelque gaucherie… Vous avez marché à travers ces dangers avec un équilibre parfait. Votre livre est la vérité même… »

C’est peut-être le lieu de dire ici quelques mots de la singulière correspondance politique qui s’engagea entre Strauss et M. Renan peu après la déclaration de guerre de 1870, correspondance qui amena l’interruption de toutes relations personnelles entre deux écrivains éminents, nés pour se comprendre et s’estimer l’un l’autre.

Strauss, ayant cru trouver dans la lettre de M. Renan mentionnée plus haut certaines allégations politiques qui demandaient une réfutation, la publia sous forme de lettre dans l’Allgemeine Zeitung d’Augsbourg : dans cette lettre, il cherchait à démontrer la justice de la cause de l’Allemagne et saluait avec joie sa prochaine unification sous le sceptre des Hohenzollern. M. Renan fit insérer la traduction de l’écrit de Strauss dans le Journal des Débats et publia en même temps une réponse où, sans dissimuler que les plus grands torts avaient été de notre côté, il protestait d’avance contre toute violation de l’intégrité de notre territoire, déclarant que la France ne survivrait pas à une mutilation. Strauss, déjà trop engagé pour reculer, écrivit une réplique qui parut aussi dans la Gazette d’Augsbourg et où il s’efforçait de justifier par des raisons de droit et de nécessité les annexions dès ce moment décidées par le gouvernement prussien (septembre 1870). Puis il réunit ses deux lettres et la traduction allemande de celle de M. Renan dans une brochure intitulée Krieg und Frieden qui fut vendue au profit des blessés allemands. M. Renan ne trouva pas bon qu’on eût ainsi disposé de sa prose sans son autorisation ; de plus, le ton de la seconde lettre de Strauss ne lui parut pas suffisamment courtois, non à son égard, mais envers notre pays et envers des vaincus ; de là un dissentiment qui rendit impossible tout commerce ultérieur entre les deux critiques. Lorsque plus tard (en 1872) M. Renan, pour tenir un ancien engagement, eut écrit une préface en tête d’une traduction française de quelques opuscules de Strauss, celui-ci trouva qu’il s’était acquitté de sa promesse « si briè-