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variétés. — un théologien philosophe

giles, à l’époque probable de leur rédaction, au caractère et aux vues systématiques de leurs auteurs, n’y avaient même pas été effleurées. Or, depuis trente ans, toute cette partie de l’exégèse avait marché à pas de géant, grâce aux travaux de Baur et de l’école de Tubingue. Il n’était plus permis de passer sous silence les importants résultats acquis à la science ; dans son nouvel ouvrage, Strauss en tint largement compte et rendit pleine justice aux travaux de Baur, particulièrement en ce qui touche le quatrième Évangile, où il vit avec lui une œuvre exclusivement dogmatique et par suite de valeur historique presque nulle. De plus, tandis que la critique de la première Vie de Jésus aboutissait à des résultats purement négatifs touchant les faits mêmes de la vie de Jésus-Christ, Strauss y ajoutait cette fois, ad usum fidelium, un résumé des événements à peu près incontestables que l’historien parvient à y démêler.

Malgré ses mérites scientifiques et littéraires, malgré la modération et la dignité du ton, le nouvel ouvrage de Strauss n’obtint pas à beaucoup près le succès qu’il en attendait. Quelque effort qu’il eût fait afin d’oublier son érudition, l’auteur n’avait pas laissé d’en faire paraître assez pour effaroucher le gros public. Puis son essai de restitution de la vie de Jésus, narration sèche et incolore, tirée exclusivement des textes écrits et où le souffle manquait, semblait encore plus pâle à côté de la brillante étude que M. Renan venait de publier la même année sous le nom de Vie de Jésus. L’ouvrage français, quelque discutables qu’en soient certaines conclusions, quelque excessive la place qu’y tiennent l’hypothèse et l’à peu près, avait à un haut degré cette vie et cette couleur locale totalement absentes du livre allemand ; tout rayonnant encore du soleil d’Orient, sous les feux duquel il avait été esquissé, il était moins exact peut-être, assurément plus vrai.

Sans se laisser décourager par son demi-échec, le docteur Strauss ne fit cependant paraître pendant les années suivantes aucun ouvrage de longue haleine. Nommons parmi ses opuscules de cette époque le Christ de la foi et le Jésus de l’histoire, les Demi-critiques et les Critiques entiers (Die Halben und die Ganzen), pamphlet virulent dirigé contre la timide et chancelante interprétation de théologiens comme Schenckel, et où l’on regrette de voir percer une animosité personnelle préjudiciable à l’impartialité de l’auteur. N’oublions pas enfin le chef-d’œuvre littéraire de Strauss, sa Biographie de Voltaire (1870), entreprise à la demande de la princesse Alice d’Angleterre, fruit d’études assidues, surtout remarquable par la justesse et la finesse des appréciations portées par un écrivain purement allemand sur un auteur dans lequel le génie français paraît s’être incarné.