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variétés. — un théologien philosophe

écrivait-il, entre le despotisme d’un prince et celui de la masse, je me déclare sans balancer pour le premier. La dernière goutte de sang dans mes veines a en exécration le règne de la populace et de la démagogie. » Rien de plus juste ; mais, par malheur, Strauss ne possédait ni le tact ni l’éloquence, qui seuls alors eussent pu faire prévaloir des idées modérées ; à plusieurs reprises, il prit la parole pour défendre des actes au moins maladroits du gouvernement central. L’irritation fut vive parmi ses électeurs, déçus ; ils lui envoyèrent une adresse, l’invitant à se démettre. Strauss, qui n’avait reçu aucun mandat impératif, avait trop de fierté pour céder à la pression populaire ; il demeura à son poste ; mais quelques mois après, la Chambre l’ayant frappé indirectement d’un ordre du jour de blâme, il donna sa démission et renonça à son indemnité de député pour toute la durée de la session (1849).

Cette malheureuse épreuve dégoûta à jamais Strauss de la vie politique ; l’insuccès de la Vie de Mœrklin faillit le dégoûter de la littérature, et, pendant plusieurs années, il ne sortit de sa plume que quelques opuscules sans importance. Enfin, en 1854, il s’établit à Heidelberg avec ses deux enfants, dont il dirigeait l’éducation, et là, au milieu d’un cercle de savants éminents, ses amis, Gervinus, Kuno Fischer, Schlosser, etc., ses vieux goûts reprirent le dessus. Il se remit bravement à l’œuvre ; seulement, au lieu de l’époque contemporaine, ce fut le xvie siècle, l’âge glorieux et batailleur de la Renaissance et de la Réforme, qui attira son attention. En 1855 parut la Biographie de Nicodème Frischlin, poète et philologue à la manière de Scaliger, dont les aventures romanesques n intéressèrent que médiocrement la masse des lecteurs. En 1857, un ouvrage bien plus considérable, la vie du célèbre pamphlétaire Ulrich de Hutten, bientôt suivie de la traduction des Entretiens du même, vint mettre le sceau à la renommée littéraire de Strauss : l’intérêt d’un sujet dramatique et plein de piquants rapprochements avec le présent, traité d’ailleurs avec feu et où l’on voyait que l’auteur avait mis toute son âme, justifie le succès de ce livre, auquel on ne peut reprocher que sa longueur. Quelques biographies de moindre importance, la Jeunesse de Klopstock, A. W. Schlegel, le Roi Guillaume de Wurtemberg, Reimarus, — auxquelles nous ajouterons pour mémoire les écrits sur Kerner, sur Schleiermacher et Daub, sur Diderot, etc., lesquels datent de la jeunesse de Strauss, — complètent son œuvre proprement littéraire.

Nous avons vu que Strauss, après l’insuccès de la Dogmatique, s’était bien promis de ne plus se mêler de théologie ; mais les promesses sont sujettes à l’oubli, surtout celles qu’un écrivain se fait à