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variétés. — un théologien philosophe

un trait particulier de caractère que Strauss avait en commun avec Gœthe : il écrivait pour se rendre pleinement compte de ses idées, pour s’entendre avec lui-même ; une fois qu’il s’était satisfait sur un sujet, qu’il en avait atteint la claire conscience, il le laissait de côté. C’est donc en 1841 que se termine la seconde période de la carrière de Strauss, qu’on pourrait appeler la période théologique et hégélienne, comme la première, close vers 1829, en est la période mystique et romantique.


II. — Les années qui suivirent sont les moins fécondes de la vie littéraire de notre auteur ; on pourrait ajouter : les moins heureuses de sa vie privée. On connaît son mariage d’inclination avec une cantatrice de talent, Agnès Schebest (1842), leur union rendue insupportable par la diversité de leurs humeurs, enfin leur séparation amiable au bout de cinq ans. Rendu à ses habitudes de célibataire, Strauss commença alors une vie de pérégrinations, parcourant l’Allemagne du nord au sud et ne réussissant pas à trouver un séjour qui pût le fixer pendant plus de quelques mois ou de quelques années. Il en était de ses études comme de sa résidence ; aucun sujet ne parvenait à l’enchaîner ; à peine en avait-il abordé un qu’il s’en détachait. Enfin il rencontra le genre littéraire qui convenait le mieux aux qualités comme aux imperfections de son esprit : la biographie. Dans ses Souvenirs littéraires, qui sont eux-mêmes une biographie très-intéressante, remarquable par l’impartialité et la justesse avec lesquelles l’auteur se juge lui-même, dans ses Souvenirs, Strauss explique parfaitement les raisons de ce choix et celles du succès qu’il en devait recueillir. Il avait d’un poète la chaleur et la profondeur du sentiment, l’agrément du style, et, dans une certaine mesure, l’habileté de la versification[1] ; ce qui lui manquait entièrement était l’imagination, cette condition sine quâ non du génie poétique. « Je m’étais souvent dit autrefois : Si je parvenais à écrire un roman, je suis sûr qu’il ne serait pas mauvais. Mais le malheur était que je n’en pouvais pas écrire. Dans la biographie, je trouvai le genre de roman accommodé à mes talents. L’invention, dont j’étais incapable, m’était épargnée ; la fable, c’est-à-dire les personnages avec leurs caractères et leurs aventures, m’était donnée par l’histoire ; mais les qualités qui m’étaient propres, la vivacité de l’exposition, la chaleur du sentiment, l’art d’émouvoir par de vives peintures le cœur et l’imagination du lecteur, tout cela trouvait à

  1. M. Zeller, dans sa biographie, a reproduit quelques-uns des essais poétiques de Strauss qui ne sont pas sans valeur.