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REVUE PHILOSOPHIQUE

phique de Tubingue ne brillait pas par son originalité. Strauss s’en dégoûta bientôt ; livré à ses propres ressources, il tâcha de suppléer par ses lectures à l’insuffisance de l’enseignement officiel. Ces premières études personnelles manquèrent de direction, comme Strauss nous l’apprend lui-même (Gesammelte Schriften, tome I, page 125). Il parait s’être d’abord attaché à Kant ; mais la prudente et sévère méthode de la Critique ne disait rien à sa sensibilité. Il quitta « ces steppes » pour les « campagnes plus plantureuses » de la Philosophie de la nature de Schelling, ensuite pour les forêts mystérieuses du vieux Jacob Bœhme.— Au sortir d’une adolescence presque claustrale, la sève exubérante du jeune homme cherchait un écoulement ; étranger aux distractions frivoles de son âge, le mysticisme et la poésie firent tous les frais de son « romantisme ».

Strauss croyait très-fermement aux visions de Jacob Bœhme, « avec plus de ferveur, dit-il, qu’à l’Écriture même. » Mais la lecture d’ouvrages mystiques n’offrait qu’une pâture insuffisante à son avidité de néophyte ; la réalité vivante avait plus de charme. Il la connut. Justinus Kerner, le médecin visionnaire de Weinsberg, dont il avait lu et relu l’Histoire de deux somnambules, le mit en rapport avec une somnambule émérite, célèbre plus tard sous le nom de « la voyante de Prevorst ». Strauss eut tout lieu de se féliciter de cette accointance ; il nous a laissé, dans son étude sur J. Kerner (Ges. Schr., I, p. 119-175), un vif et pittoresque récit de sa première entrevue magnétique avec la voyante, qui fit sur lui une profonde impression. Elle donna de chaleureux éloges à sa foi et lui garantit qu’il ne la perdrait jamais : prophétie imprudente et dont Strauss s’égaya plus tard aux dépens de son ami Kerner.

Le sommeil mystique de Strauss, si l’on peut ainsi parler, fut de courte durée ; mais cette phase de son développement intellectuel a son importance et ne pouvait être passée sous silence. « Souvent, comme le dit M. Zeller, pour les individus comme pour les époques, Je mysticisme sert de transition entre la foi naïve du premier âge et la critique personnelle des vérités de tradition. » Encore sept ans, et l’adepte de Bœhme écrira la Vie de Jésus.

La transformation des idées de Strauss fut surtout l’œuvre de deux grands esprits, Hegel et Schleiermacher ; il faut y ajouter l’influence de Baur, qui devint professeur à Tubinguepeu après l’arrivée de Strauss dans cette ville. Dans les écrits de Schleiermacher, Strauss apprit la critique de détail avec ses sévérités et ses hardiesses ; à l’auteur de la Phénoménologie, il emprunta ses vues majestueuses sur la puissance des idées et leur évolution dans le domaine de l’histoire. Toute l’originalité de Strauss est dans l’heureux mélange de ces