Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
revue philosophique

inférieures, et se montra au moyen-âge relativement riche en cérémonies et relativement pauvre en moralité. Des soixante-treize chapitres qui composent la règle de St-Benoît, neuf appartiennent à la morale et aux devoirs généraux des frères, et treize règlent les cérémonies religieuses. On peut voir dans le passage suivant emprunté à la règle de St-Colomban à quel point l’idée de criminalité s’attachait à la négligence des prescriptions : « Une année de pénitence pour celui qui perd une hostie consacrée ; six mois pour celui qui la laisse manger par les mites ; vingt jours pour celui qui la laisse devenir rouge ; quarante pour celui qui la jette avec mépris dans l’eau ; vingt pour celui qui la rejette par faiblesse d’estomac, mais dix si c’est par maladie. Celui qui néglige de dire ses amens et ses bénédicités, qui parle en mangeant, qui oublie de faire le signe de la croix sur sa cuillère ou sur une lanterne allumée par un jeune frère, recevra six ou douze coups de discipline. » Depuis l’époque où l’on expiait des crimes en bâtissant des chapelles et en faisant des pèlerinages, jusqu’à nos jours où les barons ne se jettent plus en armes sur les territoires de leurs voisins, et ne torturent plus les Juifs, il y a eu déclin des cérémonies en même temps que progrès de la moralité ; la chose est certaine. Encore qu’à jeter les yeux sur les parties arriérées de l’Europe, Naples et la Sicile, nous y voyions que l’observance des rites y tient bien plus de place dans la religion que l’obéissance aux règles morales. Enfin souvenons-nous que le Protestantisme, religion dont les formes sont moins compliquées et moins impératives et où l’on n’admet pas habituellement la composition qui rachète les transgressions par des actes expressifs de soumission, a une origine bien moderne ; et même que l’extension du protestantisme dissident où ce changement est poussé encore plus loin, est bien plus récente ; et nous aurons la preuve que la subordination de la cérémonie à la moralité n’est le caractère de la religion que dans ses formes les plus récentes.

Mais remarquez la conséquence. Si les deux genres d’autorité qui finissent par devenir les gouvernements, civil et religieux, ne comprennent guère au début que l’observance de certaines cérémonies, il faut en conclure que l’autorité des cérémonies précède toutes les autres.

Les produits de l’évolution qui sortent de la même souche, trahissent leur parenté parce qu’ils conservent chacun des caractères qui appartenaient à la souche d’où ils se sont détachés ; cela veut dire que les caractères qu’ils ont en commun ont pris naissance à une époque plus reculée que les caractères qui les distinguent les uns des autres. Si les poissons, les reptiles, les mammifères, ont tous une colonne vertébrale, il s’en suit, dans l’hypothèse de l’évo-