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regnaud. — études de philosophie indienne.

« Au commencement l’Atman était cet univers ; il avait forme d’homme. Ayant regardé devant lui, il ne vit autre chose que lui-même. Il dit d’abord : « Je suis. » C’est de là que le mot je (aham) prit naissance. C’est pour cela que maintenant encore, quand on est interpellé, on répond d’abord : « C’est moi (aham ayam) » ; puis l’on décline son nom propre…

« L’Atman eut peur. C’est pour cela qu’on a peur quand on est seul. Il eut cette pensée : « Puisque nul autre que moi n’existe, de qui aurais-je peur ? » Alors la peur le quitta, car de qui aurait-il eu peur, puisque c’est d’un second (d’autrui) que vient la peur ?

« Mais il n’éprouvait pas de plaisir ; c’est pour cela qu’on n’éprouve pas de plaisir quand on est seul. Il désira un second. Il était comme un homme et une femme qui se tiendraient embrassés. Il se partagea en deux ; c’est de là que naquirent l’époux et l’épouse.

C’était donc comme une moitié ôtée de lui-même… Ce vide est rempli par la femme. Il s’unit à elle (charnellement), et les hommes naquirent.

« La femme eut cette pensée : « Comment a-t-il pu s’unir à moi ainsi, après m’avoir engendrée (tirée) de lui-même ? Ah ! il faut me cacher. » Elle devint une vache, et l’autre (le mâle formé de l’autre moitié de l’Atman) un taureau. Il s’unit à elle, et l’espèce bovine prit naissance. Elle devint une jument et l’autre un étalon ; elle devint une ânesse et l’autre un âne. Il s’unit à elle et les solipèdes naquirent. Elle devint une chèvre et l’autre un bouc ; elle devint une brebis et l’autre un mouton. Il s’unit à elle, et (la race) des chèvres et des moutons prit naissance. C’est ainsi qu’il produisit un couple de tous (les animaux), jusqu’aux fourmis.

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« Ensuite il se mit à allumer le feu (en faisant tourner le morceau de bois mâle dans le morceau de bois femelle) ; à l’aide de sa bouche, considérée comme matrice, et de ses mains, il donna naissance au feu. C’est pour cela que l’une et l’autre (la bouche et la matrice) ne sont pas velues à l’intérieur… Puis il a créé de sa semence, qui est le soma, tout ce qui est humide. Tel est cet univers : nourriture ou mangeur de nourriture. Le soma est la nourriture ; le feu est le mangeur de la nourriture…

« Cet univers était non manifesté. Il se manifesta alors par le nom et par la forme ; (de sorte qu’on dit) : « Cela a tel nom, cela a telle forme. »

Dans la Chândoyya Upanishad[1], nous trouvons une autre théorie

  1. VI, 2-6.