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delbœuf. — la loi psychophysique

Reste la dernière objection. Pourquoi ne cesse-t-on pas, après une contemplation d’une certaine durée, soit de voir le jour, soit de voir la nuit ? Je crois l’objection plus spécieuse que redoutable. Il n’y a pas de sensation sans contraste ; par conséquent, si le jour était d’un éclat constant, et si l’œil, sans paupière et sans iris, conservait la même sensibilité, il ne percevrait plus la clarté. C’est ce que Fechner est disposé à me concéder (p. 114). Cette proposition, l’expérience ne peut la prouver ; cependant des faits d’analogie la rendent acceptable. Quand on contemple des panoramas circulaires, on voit l’espace et le vide là où il y a une toile chargée d’une certaine couleur qui représente le ciel et l’horizon fuyant. Le photographe dans sa chambre à réaction ne s’aperçoit pas que les objets ne sont éclairés que par de la lumière jaune ; et, en général, quand l’éclairage est coloré, nous savons faire d’une manière inconsciente une abstraction plus ou moins complète de sa couleur. Voilà comment je résous la question spéciale que j’avais tenue en réserve dans le chapitre précédent. Mais, si pour la lumière la proposition est sujette à un certain doute, elle se vérifie pleinement pour la température et les odeurs, et même jusqu’à un certain point pour le bruit. Voici à ce sujet un fait qui m’est personnel[1].

Je fus un jour invité à aller passer une semaine de vacances dans une maison de campagne située à côté d’une chute d’eau assez considérable produite par un barrage artificiel. Le premier jour le bruit m’assourdissait tellement que je ne parvenais qu’avec peine à suivre à table la conversation. Je finis cependant par me faire à ce bruit, et vers le cinquième ou sixième jour, m’étant réveillé pendant la nuit, je ne parvins pas à entendre la chute, même en y prêtant une attention soutenue. Surpris et intrigué, je me levai, et c’est en voyant la rivière continuer à se précipiter que mon oreille vint à percevoir de nouveau le roulement de la cascade.

D’ailleurs, sans sortir de l’expérience journalière, à qui de nous-mêmes, dans le silence des nuits, l’horloge ne fait-elle pas souvent l’effet d’être arrêtée ? pourtant le tic-tac du pendule est un bruit

    Fechner, sont en progression géométrique. Les arcs noirs qui restent sont donc représentés, en appelant s la circonférence entière, par . Or ces nombres n’obéissent certes pas à la loi de Fechner. Il est même impossible qu’ils le fassent, car, si l’on veut avoir la proportion : , et si l’on cherche la valeur de qui satisfait à cette équation, on trouve l’unité. Ce qui revient à dire qu’il est impossible de produire des teintes graduées au moyen d’arcs noirs tournant devant un fond blanc, ces arcs étant en progression géométrique. Par conséquent, le noir, au contraire du blanc, n’est pas soumis à la loi de Fechner.

  1. Voir Thèor. de la sensib., p. 38.