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papier blanc dont une partie est éclairée par un soleil éclatant nous parait noir dans la partie non éclairée. Le côté illuminé d’un papier noir placé dans les mêmes conditions nous paraît blanc par opposition avec l’autre côté. C’est ce qu’on peut remarquer tous les jours. À ce moment même où j’écris, ma plume projette une ombre d’un noir intense, et pourtant cette ombre est produite par un rayon de soleil bien pâle, soleil d’hiver réfléchi par le verre qui recouvre une petite gravure placée contre la paroi opposée de ma chambre. Cette ombre est bien plus noire que l’encre, assez incolore, il est vrai, des caractères que je trace. On me dira peut-être qu’il existe un noir maximum. Je n’en sais rien ; je n’y vois aucun inconvénient. Ce noir maximum est alors celui qui, confronté avec tout autre noir, donne lieu à un contraste positif, de même que le blanc absolu serait celui avec qui tout autre blanc formerait un contraste négatif.

Pour moi d’ailleurs, des raisons scientifiques s’opposent encore à ce que j’accorde à la sensation du noir le même caractère positif qu’à celle du blanc. Cette manière de voir, mise en avant par Gœthe, soutenue par Schopenhauer, en vue d’une théorie originale des couleurs, a été dans les derniers temps défendue avec un grand talent et infiniment de science par Hering. Je ne veux ici qu’en dire un mot. La loi de Fechner à elle seule suffit pour faire rejeter cette conception. Quand sur un fond noir, au moyen d’un carton convenablement découpé qu’on fait tourner autour de son centre, on produit trois teintes grises graduées, les éclats réels en seront en progression à peu près géométrique, par exemple, 10°, 50°, 250°, nombres indiquant la valeur angulaire des arcs de carton. Si la sensation de noir était du même ordre que celle du blanc, je devrais, au moyen de ce même carton peint en noir, en lui imprimant un mouvement de rotation devant un fond blanc, produire aussi des teintes graduées. Or, c’est ce qui n’a pas lieu. La question m’avait déjà préoccupé quand j’ai fait mes expériences sur la lumière, et j’avais taillé dans du velours noir un nombre de figures destinées âme donner des anneaux. Ce fut toujours avec un résultat négatif. Il n’en saurait être autrement sans que la loi de Fechner fût détruite, car, en évaluant à 360° l’éclat du fond blanc, l’éclat effectif des zones produites par les arcs noirs de 10°, 50°, 250°, seraient 350°, 310°, 110°, nombres tout à fait en dehors de la loi de proportion[1].

  1. Voici d’une manière élémentaire et générale la preuve de l’impossibilité d’admettre une sensation du noir assimilable à celle du blanc. Soient , les valeurs relatives des arcs de carton blanc tournant devant un fond noir, et fournissant trois teintes graduées. Ces valeurs, conformément à la loi de