Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
delbœuf. — la loi psychophysique

blanc à ce même gris, c’est-à-dire du plus au moins. C’est une simple affaire de mots. C’est ainsi que la même somme de 100 francs figure à l’actif des livres du créancier, au passif des livres du débiteur. En soi, les mots ont quelque chose d’arbitraire, mais l’opposition entre les mots répond cependant à un fait constant. Je nie du reste que le même gris donne toujours la même sensation, car il n’y a pas de sensation sans contraste.

J’ai chez moi une gravure du tableau de Vautier : un repas après décès. Dans la chambre mortuaire est dressée la table qu’entourent les parentes et les amies ; la lumière arrive par devant éclairer le côté droit de la scène. Au fond de gauche, dans l’ombre, se trouve un lit qui est vide ; tout contre est assise la veuve éplorée que des intimes essayent de consoler. Il y a en cet endroit des teintes grises tranchant sur des teintes plus foncées ; elles sont choisies pour peindre les chairs et les étoffes blanches. À une certaine distance du tableau, on ne voit que la table couverte de sa nappe éblouissante et les manches éclatantes de quelques femmes. On s’approche, et l’on commence à distinguer la scène de douleur se passant près du lit que le défunt vient de quitter pour toujours. Mais, si l’on fait un pas encore pour regarder de plus près, on apercevra dans le coin de droite une porte ouverte donnant accès dans une autre pièce éclairée par le fond ; on distinguera les hommes debout, buvant un verre de vin, parlant du mort peut-être, mais sans doute aussi du beau temps, de la pluie et de l’état des récoltes. Un jet de vive lumière dessine le profil et les angles de tous ces personnages. Or comment est représenté ce trait éblouissant ? par une teinte en soi beaucoup plus noire que celle des teintes claires de gauche. Là pourtant, c’est du soleil ; ici, c’est de l’ombre. Mais aussi le contraste, là-bas, a lieu dans une partie très-obscure de la gravure, ici dans un côté relativement plus clair. Le même gris n’a donc pas toujours la même valeur. C’est sur cette simple observation que sont fondés les effets de lumière que la peinture sait rendre si merveilleusement.

Je ne suis pas bien sûr de comprendre la seconde objection de Fechner qui se rapporte à la sensation du noir. Elle me semble reposer sur la même confusion. Mais elle provient aussi de ce que pour notre savant, comme pour Hering, Pflüger et beaucoup d’autres, le noir est quelque chose, tandis que, dans mon opinion, c’est le résultat du contraste entre le clair et le moins clair. C’est ce que j’ai exposé dans mon article sur la formation de l’idée d’espace[1]. Un

  1. Voir Revue phil., août 1877, p. 176.