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delbœuf. — la loi psychophysique

égaux maintenant à 450 et 249 ou 251, deviendront sensibles à son oreille. Et de même il pourra se faire qu’il n’entende aucun bruit isolé égal à 10, mais qu’il le remarque sur ce nouveau fond surajouté égal à 50.

Telle est la conséquence rationnelle que je tirais dernièrement de mes lois pendant que j’étais occupé à les faire servir à une théorie nouvelle du daltonisme. Je la soumis immédiatement à l’expérience avec une personne sourde, et l’expérience vérifia pleinement la théorie. Je fis asseoir cette personne à côté d’un piano ; je déterminai au préalable la distance d’où elle entendrait différents sons produits par une sonnette, par deux morceaux de bois choqués l’un contre l’autre, etc. Puis, recherchant ce que devenait cette distance quand on faisait résonner l’instrument, je la trouvai plus courte d’un quart ou d’un tiers. Je m’enquis près de cette personne si elle n’avait jamais rien remarqué au sujet de l’action que le bruit aurait sur sa faculté auditive. Elle m’apprit alors qu’elle entendait beaucoup mieux en voiture ou en chemin de fer. Je pris d’autres observations, et deux autres sourds — les seuls avec qui j’ai été en rapport — confirmèrent cette observation. Je crus d’abord avoir fait une découverte ; mais j’appris bientôt que ce fait avait été signalé déjà en 1680 et qu’il est connu sous le nom de paracousie de Willis. Cet auteur raconte qu’un homme de sa connaissance, pour pouvoir s’entretenir avec sa femme, chargeait un domestique de battre du tambour. Fielitz rapporte qu’un fils de cordonnier n’entendait ce qui se disait dans l’atelier de son père que quand celui-ci martelait sur une pierre à côté de lui le cuir de semelle. Le même entendait très-bien dans un moulin en pleine activité, tandis qu’il était sourd, éloigné du bruit[1]. Je ne doute pas que ces cas, présentés comme exceptionnels, ne constituent, au contraire, la grande généralité. Quant à la raison dernière qu’on peut donner de ces particularités et d’autres semblables, telles que le daltonisme, qui se présentent dans d’autres ordres de sensations, je me réserve de la développer à une autre occasion. Il me suffit pour le moment d’avoir fait ce rapprochement, à coup sûr inattendu et d’autant plus significatif que j’y ai été conduit par la théorie.

La mémoire elle-même n’est qu’un déplacement du point de l’équilibre naturel. Elle est fondée sur une habitude, et l’oubli n’est que le retour insensible à un état antérieur. De là cet axiome qu’elle se fortifie par l’exercice, parce qu’il vise à rendre de plus en plus stable le

  1. Voir d’autres faits de ce genre rapportés dans la Symptomatologie du docteur Spring, Bruxelles, 1870, t. II, p. 235 et suiv.