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delbœuf. — la loi psychophysique

« à les présenter dans un ordre tellement calculé que la jouissance qui en résulte aille toujours en augmentant, jusqu’au moment où le plaisir finit et où l’abus commence », c’est-à-dire, en somme, à renouveler sans cesse les « puissances dégustatrices » par d’habiles oppositions ?

Si nous exprimons ces résultats généraux sous une forme précise, nous dirons que la sensibilité pour les contrastes est la plus grande quand les intensités des excitations se renferment dans certaines limites. Du moment qu’elles en sortent, soit au delà, soit en deçà, les mêmes contrastes, ne s’obtiennent plus que pour des différences d’excitations de plus en plus considérables. Et, comme on vient de le voir, ce n’est pas là une proposition purement théorique ; elle est fondée sur l’observation et l’expérience, et, puis-je ajouter, sur le calcul[1].

Me voilà conduit tout naturellement à parler des sensations positives et négatives, dans le sens spécial que j’accorde à ces mots et qui ne se retrouve nullement dans Feehner, comme d’ailleurs il l’a compris et reconnu.

Pour moi donc, la sensation résulte d’un contraste, contraste simultané ou successif, je ne veux pas faire de distinction. Je note seulement que certains contrastes en apparence simultanés peuvent être en réalité successifs. Ainsi le contraste entre deux teintes différentes contiguës est simultané ou successif suivant que l’œil se tient immobile ou voyage de l’une à l’autre. Si le contraste va du plus au moins, j’appelle la sensation négative ; je la nomme positive dans le cas contraire. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, ces mots n’ont en eux-mêmes aucune signification propre. J’aurais pu tout aussi bien appeler positive, par exemple, la sensation de refroidissement, et négative celle d’échauffement.

Entre la sensation négative et la sensation positive il y a un point neutre. On ne peut passer d’une espèce de sensation à l’espèce contraire sans subir un temps d’arrêt. Ce temps d’arrêt peut être fugitif. Ceci se présente quand le corps est dans un état d’équilibre dynamique. Je me rappelle avoir pris un jour à Magadino un bain dans le lac Majeur, et à chaque brassée, pour ainsi dire, je me sentais transi ou réchauffé alternativement. J’étais à l’embouchure du Tessin, et je rencontrais à chaque instant un courant froid du fleuve qui n’avait pas encore eu le temps de se mélanger intimement aux eaux chaudes du lac. Si l’on regarde une étoffe lignée, le point neutre est là où notre œil franchit le bord d’une rayure. Ces sortes de points neutres

  1. Étude psynh., théor. III et VI, et notamment p. 68 sqq.