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delbœuf. — la loi psychophysique

Avant de pénétrer dans le fond du débat, je veux cependant opposer à cette théorie un argument à priori et montrer que, interprétée dans toute sa rigueur, elle conduit à des conséquences inadmissibles.

Pour les excitations en nombre indéfini renfermées entre deux limites, le nombre des sensations est fini. Ainsi un même bec de gaz peut fournir une infinité de degrés de lumière différents, suivant la position du robinet, depuis une lueur à peine perceptible jusqu’à la flamme le plus éclatante. Et, dans cet intervalle, il n’y a place que pour un nombre restreint de sensations distinctes de lumière. Il s’ensuit que chacune de ces sensations peut être produite par des excitations assez variées sous le rapport de l’intensité, puisque, du moment où elle apparaît jusqu’au moment où elle fait place à une autre, on fait décrire au robinet, d’une façon continue, un certain angle augmentant ainsi peu à peu l’éclat de la flamme. Prenons-la au moment où une autre sensation plus forte va lui succéder, et faisons, par la pensée, abstraction de tout ce qui s’est passé auparavant. Voilà une certaine sensation provoquée par une flamme d’une intensité déterminée. Soutiendra-t-on maintenant qu’il suffit que la flamme augmente d’une infiniment petite quantité pour que la sensation franchisse un degré ? ou bien exigera-t-on que le robinet décrive de nouveau un angle égal ou à peu près égal à celui qu’il a tantôt parcouru ? Si l’on opte pour la première alternative, on va à l’encontre de l’expérience, qui nous apprend que la sensation ne distingue pas ce qui ne diffère que de très-peu, et l’on méconnaît même la théorie basée sur le seuil. Si l’on choisit la seconde alternative, qui me paraît être la seule acceptable, en continuant le même procédé, on parviendra à insérer autant de sensations que l’on voudra dans l’intervalle de deux excitations entre lesquelles il n’y a, prétend-on, place que pour une sensation.

Je pense donc, pour ma part, qu’à chaque excitation déterminée correspond une sensation aussi déterminée, bien entendu quand toutes les circonstances restent les mêmes. Ainsi, pour en revenir à l’exemple choisi, à chaque position du robinet il y a une sensation différente. Mais, d’un autre côté, je concède que, pour que la conscience fasse une distinction entre deux sensations, il faut qu’il y ait entre elles une différence finie.

Or je n’accorde à ce fait aucune importance. Je dis que ce caractère de discontinuité que l’on croii être spécial aux phénomènes internes de la sensation est commun à tous les phénomènes naturels réels, extérieurs et intérieurs, appartient en un mot au mouvement comme au changement et ne doit pas ici être pris en considération.

Voilà ma thèse, et, sous cette forme, elle n’est qu’un cas particulier