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conquis et de les suspendre comme des trophées dans le mbure, ou temple. Des centaines d’éperons d’or des chevaliers français tués à la bataille de Courtray furent déposés par les Flamands dans l’église de cette ville ; en France, on suspendait aux voûtes des églises les drapeaux conquis sur l’ennemi (usage qui n’est point inconnu de la protestante Angleterre). On pourrait ajouter à ces faits ceux que nous avons cités plus haut, si ce rapprochement ne donnait à penser une chose impossible : que les chrétiens s’imaginent plaire au dieu d’amour par des actes semblables à ceux qui plaisent aux divinités diaboliques des cannibales.

Des résultats auxquels nous arriverons plus tard nous obligent à mentionner encore une vérité générale, la seule qui reste, et tellement évidente qu’elle ne paraît pas en valoir la peine. L’acte de prendre des trophées se rattache directement à la phase militante. IL prend naissance durant la phase primitive, entièrement absorbée par la lutte contre les animaux et les hommes ; il prend du développement en même temps que grandissent les sociétés conquérantes, où des guerres perpétuelles engendrent le type de structure militaire ; il décroît à mesure que l’industrialisme, en voie de croissance, substitue de plus en plus son activité productive à l’activité destructive ; enfin il est vrai de dire que l’industrialisme complet en nécessite la cessation complète.

Il nous reste pourtant à signaler la principale signification de l’acte de prendre des trophées. La raison de le faire rentrer dans le sujet du gouvernement cérémoniel, bien qu’on ne puisse l’appeler une cérémonie, c’est qu’il peut nous expliquer une foule de cérémonies en honneur partout, chez les peuples non civilisés ou demi-civilisés. De la coutume de couper et d’enlever des parties du corps mort, est sortie la coutume d’enlever des parties du corps vivant.

Herbert Spencer.
(À continuer.)