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là l’origine de la sorcellerie dans le monde entier ; de là l’usage si général chez les sorciers primitifs de faire du bruit en entrechoquant des os de morts ; de là « la poudre obtenue en pilant des os de morts » dont les nécromanciens du Pérou se servent ; de là la coutume que nous retrouvons dans nos traditions de sorcellerie, où l’on voit les sorcières se servir de certaines parties du corps pour composer des charmes.

Après avoir attesté la victoire remportée sur un ennemi, un trophée joue donc un autre rôle : il sert à subjuguer son esprit, et nous avons des faits qui prouvent que la possession de ce trophée fait en quelque sorte de l’esprit un esclave. La croyance primitive que l’on retrouve partout, que les doubles des hommes et des animaux immolés sur les tombeaux accompagnent le double du mort pour le servir dans l’autre monde ; la croyance qui mène ici à l’immolation des femmes du mort pour lui donner des compagnes qui tiendront sa maison, là au sacrifice de chevaux dont il a besoin pour son voyage d’outre-tombe, ailleurs enfin à tuer des chiens qui serviront de guides au double des morts ; cette croyance est, en bien des endroits, le point de départ d’une croyance analogue d’après laquelle il suffit de déposer sur la tombe du mort une partie des corps pour que les hommes ou les animaux auxquels ces parties appartiennent deviennent ses serviteurs. De là vient qu’en beaucoup d’endroits on décore les tombeaux avec des os de bœufs, qu’ailleurs on y dépose les têtes d’ennemis ou d’esclaves et même des chevelures. Chez les Osages, dit M. Tylor d’après MM. , on voit quelquefois « sur le tas de pierres élevé au-dessus d’un corps une perche au bout de laquelle pend la chevelure d’un ennemi. Ces sauvages pensent que, lorsqu’ils prennent un ennemi et qu’ils suspendent sa chevelure au-dessus du tombeau d’un ami mort, l’esprit de la victime se trouve assujetti à l’esprit du guerrier enseveli dans la terre des esprits, s Les Ojibouais ont un usage analogue qui provient probablement de la même idée.

Il ne faut pas oublier une transformation collatérale de l’acte de prendre un trophée, transformation qui joue un rôle dans la réglementation gouvernementale. Je veux parler de l’exposition des parties du corps des criminels.

Notre esprit plus avancé distingue parfaitement entre l’ennemi, le criminel et l’esclave ; mais l’homme primitif les distinguait à peine. Presque totalement, sinon absolument dépourvu des sentiments et des idées auxquels nous donnons le nom de moraux, retenant par la force tout ce qui lui appartient, arrachant à un plus faible que lui la femme ou les objets qu’il possède, tuant son propre fils sans