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n’est que la traduction, dans la conscience, des dispositions et impressions du corps et des mouvements cérébraux. Pour nous servir d’une comparaison, l’âme serait en quelque sorte un métal sonore, incapable par elle-même de produire aucun son, et que feraient retentir aussi diversement que possible les divers organismes physiologiques. La fonction dépend de l’organe : si l’homme a une puissance d’abstraction qui met tant d’intervalle entre lui et l’animal, c’est qu’il a une organisation cérébrale supérieure : les lois de l’intelligence sont celles de l’instrument intellectuel ; le principe de causalité et celui de finalité sont des principes inhérents aux organes ; notre seul pouvoir consiste à nous servir d’un appareil logique préformé, et c’est parce qu’il y a de la raison en lui comme il y en a dans la nature que nous raisonnons ; enfin, et pour tout dire, le principium individuationis est le corps et le corps seul, les âmes « numériquement distinctes sont qualitativement égales, » et le génie n’est aussi bien que l’idiotisme qu’un phénomène cérébral. « C’est affaire de cerveau, dit M. Dollfus, entre un mollusque et Newton. » C’est là précisément, et presque dans les mêmes termes, la théorie de Bonnet ; il serait facile de poursuivre les rapprochements entre les deux auteurs.

M. Dollfus se défend en vain d’enlever toute énergie au principe psychique, il montre en vain qu’il a le pouvoir de provoquer aussi des mouvements cérébraux, et, sinon d’engendrer directement, du moins de modérer, de retenir et de diriger nos pensées ; en vain, il se proclame partisan de la liberté et cherche à établir que l’existence de l’âme est surtout attestée par ce fait qu’elle ne cesse de croître alors même que les sutures du crâne se sont soudées. Il est impossible d’admettre dans ce système que la volonté soit autre chose qu’une réaction, qu’un choc en retour, déterminé fatalement par les actions du milieu ambiant et cela est si vrai que l’auteur est amené à déclarer que partout où il y a sensation, fût-ce au plus bas degré de l’échelle animale, il y a forcément volonté[1]. Qu’on nous dise, soit, que ce n’est pas le cerveau seul de Newton qui a fait Newton, « car il a fallu, pour que Newton trouvât la gravitation universelle en y pensant toujours, une âme qui pensât à l’aide du cerveau de Newton. » La question est de savoir si, tel cerveau étant donné, l’âme n’est pas forcée à penser toujours. Évidemment, elle ne peut se soustraire à une telle nécessité, puisque par elle-même elle n’a aucune énergie distincte, aucun caractère propre et individuel.

Nous ne suivrons pas plus longtemps notre auteur dans les efforts ingrats et stériles qu’il a tentés pour sauver le pouvoir personnel : nous aimons mieux rendre justice au talent d’analyste qu’il a déployé en montrant l’autonomie du cerveau dans le rêve, la folie, l’hallucination, l’ivresse et autres phénomènes semblables. Il a aussi d’excellentes pages sur le désir qu’il considère avec raison comme « le dernier fonds de l’âme. » Mais, naturellement, il s’empresse d’ajouter que l’âme n’éprouve de sentiments que conformément à ses désirs, et de désirs

  1. L’âme dans les phénomènes de conscience, p. 124.