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ANALYSESdollfus. — L'âme dans les phénomènes, etc.

de Leibniz et peut très-bien se concilier avec les spéculations de M. Herbert Spencer, comme avec celles de tous les philosophes physiciens qui ont fait la théorie de la corrélation des forces. Au fond, la manière de voir de M. Dollfus ne s’éloigne pas beaucoup non plus de celle de M. Renouvier : comme ce dernier, il est pour l’universelle corrélation des êtres, pour la relativité et de la connaissance et de la réalité, pour la condamnation du noumène, pour l’embrassement de toutes choses dans un ordre supérieur de finalités réciproques. Seulement ne forçons pas trop les ressemblances ; car les vues de M. Dollfus ne sont pas arrivées à une suffisante consistance systématique. Ce sont bien plus souvent des aperçus que des idées fortement enchaînées, motivées et discutées. Souvent, on serait tenté de prier l’auteur d’être plus complet, ou plus précis ; de prévoir les objections et d’y répondre ; en un mot de pousser ses idées jusqu’au bout. Ainsi, par exemple, comment la liberté trouvera-t-elle quelque place dans l’ordre universel, et, à ce qu’il semble, universellement déterminé des actions et réactions dont se compose l’univers ? M. Dollfus ne se le demande pas ; aussi le verra-t-on, ce qui n’est que trop commun, exalter et tout à la fois détruire le pouvoir personnel. Nous avons en face de nous moins un système, que des indications, mais des indications précieuses à recueillir, parce que les tendances qu’elles révèlent se rattachent à un grand mouvement de conciliation philosophique, dont, dès aujourd’hui, à ce qu’il nous semble, on peut déterminer la direction et pressentir le but.

C’est par là surtout que nous intéresse l’Âme dans les phénomènes de conscience, bien plus encore que par les analyses souvent fines et brillantes qu’on rencontre dans l’ouvrage, mêlées à des pages éloquentes, pleines de la morale la plus généreuse, c’est-à-dire la plus humaine. L’auteur est un écrivain auquel ne manquent ni l’éclat, ni la flamme : il a un style vif, imagé, chaleureux. Quant à sa psychologie, elle n’est guère que la reproduction de celle d’un de ses plus célèbres compatriotes, de Charles Bonnet, qui est aujourd’hui tombé, d’ailleurs injustement, dans un presque complet oubli. Il est même probable que M. Dollfus ne se sera pas souvenu des écrits de son prédécesseur genevois, car sans cela il n’aurait pas manqué d’invoquer ce témoignage. Quoi qu’il en soit, à l’exemple de Bonnet, il n’est en aucune façon partisan d’une psychologie « qui dédaignerait en grande dame le secours de la physiologie et qui considérerait l’âme dans l’abstraction du corps et du milieu planétaire. » Il espère, — puisse-t-il avoir raison ! — que « cette psychologie a fait son temps heureusement avec le vieux spiritualisme dont elle se réclamait. » Comme il est aisé de le voir d’après ce qui précède, M. Dollfus veut donc étudier l’âme dans son intime connexion avec le corps : mais il va si loin dans cette voie que si dans chaque phénomène de conscience il réclame énergiquement une part pour l’âme, en revanche, il accorde sans peine, en maint endroit de son livre, que le moral est dans la complète dépendance du physique. En d’autres termes, il ne comprend aucun fait de conscience sans un principe d’unité psychique, mais la vie psychique elle-même