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conserver, lui et son espèce ; 2° Plus un être est isolé, individuel, plus aussi doit être grande et variée son excitabilité.

Ce serait peine perdue que d’insister sur la première proposition : elle se ramène en fin de compte à un jugement analytique dont la négation implique contradiction. Qu’un être existe sans être pourvu des moyens propres à assurer son existence, c’est-à-dire sans avoir avec l’extérieur des rapports conformes à sa nature spéciale : cela est inadmissible, parce que c’est absurde, Les exemples cités par l’auteur, celui de la plante et celui de la fleur, sont donc superflus. La seule chose à remarquer, c’est que les êtres du règne végétal ne possèdent aucune notion ni d’eux-mêmes, ni du dehors, et par conséquent ne constituent pas des individus. Le végétal subit l’action des forces physiques, et réagit : tout cela est d’ordre mécanique et inconscient. Mais avec l’animal s’affirme à divers degrés une individualité réelle, et là se vérifie la seconde loi. L’organisme de l’animal est trop compliqué pour attendre, comme la plante, le concours accidentel des forces physiques : composé de fonctions distinctes, celles du cœur, des poumons, de l’estomac, etc., auxquelles se rattachent inséparablement le développement de l’individu et la conservation de l’espèce, l’animal est forcé, dans un intervalle de temps très-limité, de choisir parmi une multitude d’éléments externes, par suite de percevoir, au moins obscurément, les objets environnants. De là un ensemble d’appareils : organes des sens, nerfs, ganglions, cerveau. Mais l’individualité de l’animal devient de plus en plus saillante, à mesure qu’on s’élève plus haut dans la série des vivants : la spécialisation des fonctions, d’une multiplicité et d’une variété croissantes, entraîne donc comme corrélatif nécessaire l’extension de cette faculté de percevoir les choses du dehors dans leurs rapports avec l’individu. Voilà pourquoi l’homme, avec son organisme si délicat et sa physionomie si mobile, est en même temps le type suprême de l’individualité et de l’intelligence. Sa faiblesse musculaire relative exigeait qu’il eût, pour vaincre les espèces hostiles, des aptitudes intellectuelles infiniment supérieures : ainsi embrasse-t-il le monde extérieur dans un système, non plus d’images, mais d’idées par lesquelles il relie le présent au passé et à l’avenir. Mais écartons tout sentiment d’orgueil : la connaissance rationnelle de l’homme, la connaissance sensible départie à l’animal aussi bien que l’excitabilité de la plante, tout cela n’est qu’une gradation de moyens appropriés à la conservation des individus et de leurs espèces. Confirmation des lois ci-dessus énoncées.

La méthode philosophique chère à M. E. Hermann ressort de ce qui précède. Se placer au point de vue extérieur, étudier en observateur curieux les conditions différentes de développement assignées par les faits aux espèces vivantes et à l’homme, conclure de la diversité des conditions à la diversité des fonctions psychiques correspondantes : voilà qui est propre à séduire les esprits éloignés de toute spéculation métaphysique et de l’analyse psychologique souvent arbitraire et invérifiable. Et pourtant cette méthode comparative, applicable à la psychologie de l’animal, est impuissante à découvrir ce qu’il y a d’humain