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L’IMITATION DANS L’IDÉE DU MOI




I

§ 1. Voici deux rêves où le dédoublement de la personnalité s’est produit et a présenté quelques caractères intéressants.

Premier rêve : Je dors depuis peu de temps et je rêve que l’obscurité « coule » sur moi. Elle ne m’entoure plus, mais elle me couvre et glisse contre mon corps. C’est une sensation curieuse, qui m’envahit lentement. Je n’y prête d’abord que peu d’attention : mais bientôt elle me préoccupe et je cherche à l’oublier. Je vois maintenant l’obscurité, très nettement, comme de l’encre qui coule sur mes mains et sur mes bras. Je songe, après quelques instants, que cela est tout à fait étrange et que je dois rêver ; mais la sensation est maintenant plus nette : et cette idée me vient peu à peu que mes mains et mes bras ne sont plus à moi, mais à autre chose, peut-être à quelqu’un d’autre. Ensuite je devine, d’une manière très brusque, que c’est vraiment quelqu’un d’étranger qui est en moi et qui a pris mes mains. Je veux me forcer à oublier tout cela, je m’applique à écouter les battements de mon cœur ; j’ai tout un ensemble de sensations confuses de repos, d’alanguissement, que j’évoque peu à peu, que je m’efforce de sentir plus intenses ; et je sais, très sûrement, que toutes ces impressions nouvelles sont à moi. Puis j’oublie peu à peu l’obscurité.

Il n’y a eu dans ce rêve qu’une seule image visuelle : celle de l’encre que je vois couler. Pour le reste, le rêve paraît presque entièrement composé de sensations et d’images internes ou cénesthésiques.

Voici un second rêve, que l’on m’a communiqué, où le dédoublement de la personnalité s’est appliqué, non pas au moi du rêveur, mais à une autre personne dont le rêveur, à ce moment, était préoccupé.

« Je me suis promené dans la journée avec Ernest S. Je tiens assez à lui, parce qu’il a un caractère ingénieux et qu’il rend volontiers des services. Il y a pourtant des jours, comme hier, où il m’exaspère, exprès, en soutenant des théories politiques ridicules. C’est un côté de son caractère qui est en lui très peu naturel et qui me choque. Nous avons marché deux heures environ, sur la route de Versailles. Puis, après avoir assez discuté, et sans joie, nous nous sommes quittés.

« La nuit je rêve que je recommence, avec S., la même promenade. Nous marchons l’un près de l’autre. Nous ne parlons guère, et nous