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objets de ses désirs et de ses croyances, en éveillant la réflexion, en diminuant la dose d’impulsivité qui se manifeste dans chacun de nos actes. C’est donc en dernier lieu de l’éducation au sens large du mot que nous devons attendre le progrès de l’esprit pacifiste.

Dr S. Jankelevitch.


Pierre Kropotkine. — L’Entr’aide, un facteur de l’Évolution. Paris, Hachette, 1906, in-18, 326 p.

La formule célèbre « lutte pour l’existence » a longtemps paru convenir seule à l’explication naturaliste de l’évolution sociale ; mais voici que la solidarité, la réciprocité d’action, l’assistance mutuelle, se montrent aussi « naturelles » que la lutte et que leur rôle paraît plus important même que celui de la « compétition ». L’auteur n’a pas voulu nier l’existence d’une lutte incessante entre espèces animales, entre races, voire entre tribus humaines ; mais il ne croit à l’efficacité de ce facteur isolé, ni pour le progrès, ni même pour la dépopulation et la destruction des espèces. La disparition de certains types est due à des « obstacles naturels » (froid, inondations, chaleur excessive, sécheresse, épidémies) qui opèrent soit par des « réductions », soit par des « destructions en masse », soit par un affaiblissement irrémédiable rendant « inaptes » les descendants débiles des espèces les plus éprouvées (p. viii, 76, 78-79). Le « manque de population animale est l’état naturel des choses pour le monde entier. La compétition ne peut donc guère être une condition normale » (p. 74). Darwin ne l’a pas méconnu ; mais il a surtout insisté sur la lutte, et ses disciples, surtout Huxley, ont exagéré la portée de cette insistance très légitime ; il est légitime aussi d’étudier presque exclusivement la contre-partie de la concurrence : l’entr’aide ; d’y faire voir l’effet d’une tendance naturelle, d’un mot d’ordre suivi partout (p. 6 et 8’).

Les faits d’entr’aide abondent dans la vie animale. On connaît bien tous ceux qui se rapportent à la protection et à l’élevage de la progéniture ; on n’ignore pas ceux qui se rapportent à la sécurité des associations temporaires ou durables formées par les aminaux soit pour leur subsistance, soit pour le jeu, soit pour les migrations (p. 22 et 23). L’entr’aide existe même chez les fourmis au point de vue de la subsistance individuelle (régurgitation au profit de l’affamée, p. 14). Chez les abeilles, les individus « les plus malins » sont éliminés au profit de la solidarité (p. 19). Nombreuses sont les espèces d’oiseaux qui ont recours au groupement en grand nombre pour résister aux entreprises des rapaces ou pour chasser les « brigands » trop audacieux (goélands, hirondelles de mer, etc., p. 35). Les variétés industrieuses connaissent une sorte de coopération : non seulement les aigles, les