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ANALYSESbrentano. — La Civilisation et ses lois.

organisés et animés. Toute expérience exagérée dans sa portée corrompt jusqu’à l’esprit de la science. »

En médecine, nous sommes tombés assez bas pour prendre au sérieux les extravagances de l’homœopathie ; en philologie, nous avons tellement exagéré les principes tirés de l’expérience, que nous avons délimité les nations d’après les sons qu’elles prononcent ; « Fables qui nous rapprochent de ces pauvres sauvages qui croient certains oiseaux de race humaine parce qu’ils imitent les accents de l’homme. » Enfin, la philosophie se perd dans des affirmations arbitraires et dans la stérile contemplation de quelques vérités prétendues nécessaires et éternelles. Elle est menacée de tomber aux mains des inspirés et des prophètes. « De nouveaux Proclus, d’autres Plotin feront école et enseigneront aux esprits surexcités une science de thaumaturges. »

— Il nous est impossible de souscrire à ce jugement pessimiste. Nous ne voyons pas que la science contemporaine se borne à accumuler des faits. La belle théorie de l’unité des forces physiques date d’hier ; le transformisme est une grande hypothèse ; la doctrine de l’évolution est une des généralisations les plus vastes auxquelles se soit élevé l’esprit humain. Transformistes et évolutionnistes peuvent se tromper et nous croyons qu’ils se trompent ; mais on ne niera pas que les Darwin, les Spencer, pour ne parler que de ceux-là, ne voient les choses de haut. D’ailleurs des phénomènes bien observés, des expériences bien faites ne peuvent que profiter à la science ; un jour ou l’autre quelque puissant génie en trouvera les causes, en formulera les lois et d’échelon en échelon, remontera jusqu’aux causes les plus générales, jusqu’aux lois les plus simples. Par là se simplifie du même coup la connaissance humaine, en sorte qu’il n’est pas à craindre que l’esprit succombe sous le poids des matériaux accumulés. L’énoncé d’une grande loi, qui tient en quelques lignes, dispense de la constatation directe d’un nombre presque infini de faits particuliers.

Nous ne voyons pas davantage que nos savants se prosternent devant des abstractions réalisées comme des sauvages devant les fétiches. Ceux qui s’entendent avec eux-mêmes savent parfaitement et disent bien haut que les prétendues forces de l’électricité et du magnétisme échappent à l’observation et qu’elles ne sont en conséquence que des hypothèses provisoires, commodes pour l’explication des faits. S’ils écrivent des livres sur la pluralité des mondes habités, ils ne donnent pas leurs conjectures pour des vérités scientifiquement démontrées. Nous n’avons pas entendu dire que tous nos médecins fussent en train de devenir homœopathes ; notre philologie n’est pas responsable des témérités de quelques philologues qu’elle désavoue, et la philosophie sérieuse n’a rien à voir avec les faiseurs d’utopies sociales et les prophètes de religions nouvelles. En un mot, l’état présent de la science nous paraît plutôt rassurant pour l’avenir ; de toutes les sortes de progrès, c’est le progrès scientifique qu’il est le plus difficile de contester à notre époque ; nous croyons dçnc qu’il y a quelque paradoxe à soutenir, comme M. Funck-