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ANALYSESbrentano. — La Civilisation et ses lois.

que ce soient là les seuls, ou du moins les principaux éléments de la civilisation, l’auteur a justifié la première partie de son titre ; et s’il est vrai que la connaissance des lois de la civilisation soit nécessaire pour apprendre aux nations par quels moyens elles peuvent grandir ou se relever, et aux individus comment ils pourront contribuer, chacun selon ses forces, aux progrès ou à la régénération de la patrie, le livre de M. Funck-Brentano tient entièrement ce qu’il promet ; il est un traité de morale sociale. Il est même plus simplement encore, et à un point de vue assez nouveau, un traité de morale ; car c’est dans les mœurs, les tendances, les affections de l’individu lui-même que l’auteur cherche les conditions premières de toute civilisation et de tout progrès pour les peuples, comme aussi de toute décadence et de toute ruine.

On peut regretter que M. Funck-Brentano n’ait pas cru devoir donner une définition de la civilisation, et qu’il n’ait pas essayé de déterminer quels en sont les éléments essentiels et quelle est la valeur relative de ces éléments. Nous voyons bien que chacun des cinq livres de l’ouvrage a pour objet de traiter de l’un d’eux : mœurs et lois, sciences et religion, arts et lettres, etc. ; mais on eût aimé à avoir la preuve que ce sont là les plus importants, et surtout que l’ordre suivi par l’auteur est vraiment celui qu’impose la nature des choses. Quelques-uns pensent, par exemple, que les croyances religieuses jouent un Pôle prépondérant dans le développement de la civilisation ; ceux-là pourront s’étonner que M. Funck-Brentano ait réuni dans un même chapitre la science et la religion, que ce chapitre ne soit que le second de l’ouvrage, et qu’il soit moins étendu que le suivant, consacré aux arts et aux lettres.

Quelques critiques peuvent être également soulevées contre les idées exposées par l’auteur dans son Introduction. M. Funck-Brentano tente d’y déterminer les principes de la morale. Il n’admet pas l’existence de principes absolus du bien ; il n’admet pas davantage que nos affections sont les mobiles uniques de nos actes ; enfin il repousse la théorie utilitaire qui donne pour fondement à la science des mœurs l’intérêt particulier ou général. Il reconnaît deux principes de la morale : le premier c’est l’identité du bien et de la science du bien ; le second se formule ainsi : Sers le genre humain en toi et dans les autres.

Le premier principe n’est autre que celui de Socrate. On ne veut et on n’accomplit que le bien que l’on connaît. Ovide et Saint Paul pensent à tort qu’il peut arriver que l’homme connaisse le meilleur et suive le pire (deteriora, sequor). Dans ce cas, le pire lui apparaît comme le meilleur : c’est une satisfaction de l’égoïsme, une jouissance de la sensibilité, et si l’homme les choisit, c’est qu’elles lui semblent un bien plus grand que celui qu’il obtiendrait en les sacrifiant. Il est possible qu’il se trompe ; mais tant que durera son erreur, il est contradictoire de supposer que son choix puisse être autre.

Il y a ici, selon nous, une confusion. Le mot bien peut recevoir plu-