Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
ANALYSESh. spencer. — Principes de Sociologie.

menses changements géologiques, atmosphériques, etc., se sont produits depuis son apparition ; de sorte qu’il faut renoncer à se faire une idée, même approximative, du milieu dans lequel se sont formées les premières sociétés. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que ces changements ont dû produire sur tous les points de la terre un perpétuel mouvement d’émigration et d’immigration. Mais voyons les conditions actuellement observables.

En premier lieu, la vie en général, à plus forte raison la vie sociale, n’est possible que sous une certaine température. Au-dessous d’un certain degré de froid, au-dessus d’un certain degré de chaleur, l’homme ne peut vivre. À la vérité, il peut produire artificiellement la température qui lui est nécessaire, par exemple à force de combustible, ou par quelque mode d’alimentation, mais c’est presque toujours alors au détriment de la vitalité de l’individu et de ses facultés supérieures. Ainsi les Esquimaux, ainsi les Fuégiens, exposés comme ils sont à une énorme et continuelle déperdition de chaleur, ont tant de difficultés à conserver l’équilibre physiologique, que leur développement individuel est nécessairement très-restreint. À plus forte raison ne peuvent-ils avoir ce « surplus » d’énergie nécessaire pour produire et élever beaucoup de nouveaux individus. Aussi leur nombre même est-il insuffisant pour qu’ils puissent s’élever au-dessus d’un état social tout à fait rudimentaire.

En dépit de l’opinion reçue, il n’est pas exact, selon M. Spencer, que l’extrême chaud soit aussi contraire au progrès social que l’extrême froid, car s’il est vrai que la grande chaleur énerve et déprime, les climats les plus chauds offrent, dit-il, au moins la nuit, quelques heures de fraîcheur, et, d’autre part, ils sont si riches en productions animales et végétales, qu’ils favorisent, en somme, le développement social beaucoup plus qu’ils ne le contrarient. Le midi de la Chine, l’Inde, le Cambodge, Java, le Mexique et le Pérou, sont des régions brûlantes qui offrirent de très-bonne heure de grandes civilisations. — M. Spencer se rencontre sur ce point avec M. le docteur Bertillon, qui, dans une savante étude sur l’influence des milieux[1], publiée dans un Dictionnaire de Médecine, a écrit sur ce sujet quelques pages d’une véritable portée philosophique.

Mais la température n’est pas le seul caractère météorologique qui influe sur l’activité humaine et partant sur les phénomènes sociaux : d’autres éléments importants sont le plus ou moins de variabilité du climat, et surtout la sécheresse ou l’humidité de l’atmosphère. Un air sec est en général plus favorable aux fonctions physiologiques (par exemple aux fonctions de la peau et des poumons) et par conséquent au développement de l’activité physique et mentale. Sur ce point encore les faits viennent à l’appui de la théorie. « Trois races de type différent et parlant des langues profondément distinctes (la race tar-

  1. Article Mésologie, dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Paris, Masson.