Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
580
revue philosophique

parvenu à l’idéal du savoir, celui dont la connaissance s’étendrait par hypothèse à toutes les lois réelles du monde, serait en état de prévoir et de mesurer par anticipation les moindres influences de la queue d’un chien, par exemple, en tel sens et à tel instant[1] ? » Aristote a admis un domaine du hasard et n’en a pas moins exploré le domaine des lois. Enfin toute explication a des faits premiers pour limite.

La science a raison toutefois de reculer indéfiniment les bornes inconnues du connaissable, qu’il y aurait inconvénient à fixer d’avance, quoiqu’elles n’en soient pas moins réelles ; elle est encore dans son rôle, lorsque, appuyée sur l’induction, elle tente d’établir le déterminisme absolu de la nature, la corrélation de tous les ordres de phénomènes. Seulement l’induction expérimentale, hors le cas de l’énumération complète, n’est jamais absolument démonstrative ; elle est obligée de faire dans une certaine mesure appel à la croyance, c’est-à-dire, à la liberté ; elle ne repose ni sur un fondement logique, ni sur un fondement métaphysique, sur une nécessité de la pensée, comme l’entendent les partisans de l’évidence rationnelle absolue ; et la preuve, c’est qu’elle trouve des intelligences rebelles. « Je crois, dit M. Renouvier, que le fondement cherché n’est autre que l’assiette que se donne un esprit bien dirigé dans les affirmations qu’il juge moralement légitimes. Parmi ces affirmations, je compte celle de l’universalité de la loi de causalité pour tous les mondes imaginables, et je compte pour le même motif une exception à cette loi en faveur des faits de premier commencement. L’induction et l’exception de l’induction ont à mes yeux un seul et même principe : étendre les catégories de ma pensée à tous les objets de ma pensée, jusqu’au moment où un jugement d’ordre supérieur vient m’interdire le passage. Tout ce qui commence d’exister a une cause : personne ne nie cela, s’il s’agit de se placer in medias res, dans l’ordre habituel des antécédents et des conséquents soumis à l’expérience. Mais toute cause a une cause, et puis : tout effet se rattache déterminément à une cause qui n’a jamais pu s’appliquer d’une manière réellement ambiguë à cet effet et à son contraire, voilà d’autres énoncés qui trouvent de nombreux contradicteurs et qu’il n’est permis qu’à une hypothèse et à un système de faire entrer dans l’induction de la causalité universelle[2]. »


L’analyse logique du principe de causalité ne prouve pas l’impossibilité des futurs ambigus ; mais elle ne démontre pas davantage leur

  1. Psychologie rationnelle, II, 4.
  2. Log. gén, II, 241, 242.