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beurier. — philosophie de m. renouvier.

La causalité, ainsi entendue, ne supprime en aucune façon l’idée des futurs ambigus, si nous distinguons, et nous devons le faire, la nécessité logique, qui dépend du principe de contradiction (et qui ne laisse pas de s’accorder avec des variables indéterminées dans les mathématiques)[1], et la nécessité causale, dont la justification exigerait, tout au moins, la réduction au premier sens. Il faut, par suite, distinguer aussi le possible logique, relatif aux faits dont nous ignorons l’existence, et le possible causal dont l’existence future ne peut pas plus être affirmée que niée. Sans doute, à ne considérer que l’effet une fois produit, tout est déterminé, tout est nécessaire ; mais, à ne considérer que la puissance, tout est indéterminé dans l’avenir et le présent même ; la prétendue contenance de l’effet dans la cause n’est pas et ne peut pas être prouvée. Comment démontrer qu’un effet, devenu acte, était seul possible ? Si l’on insiste, si l’on assure que rien ne se produit sans une raison suffisante et adéquate, ne peut-on pas répondre que l’acte même, le double acte qui détermine une puissance auparavant indéfinie, est la raison suffisante de cette détermination au moment où elle se pose ? On dira qu’alors quelque chose commencerait absolument, c’est vrai ; mais le devenir lui-même n’implique-t-il pas ce commencement, dont on voudrait s’affranchir : « le changement, d’une manière générale, a lieu sans cause, quelque déterminés que puissent être les changements particuliers, car pourquoi quelque chose change-t-il ?[2] »

Pour établir la loi universelle de causalité déterminante, Stuart Mill invoque l’expérience. Celle-ci n’a pas autorité pour poser l’universel et le nécessaire, qui échappent forcément à ses investigations. Les Anglais ramènent du reste l’idée de nécessité à celle d’une association inséparable de phénomènes, telle que la concevabilité du contraire devient impossible : c’est même là, à leurs yeux, le critère de la certitude. Mais une croyance, fût-elle universelle, n’est pas une preuve philosophique et ne dispense pas d’une preuve, parce qu’elle ne se justifie pas elle-même à titre de fait. Mill le reconnaît. Il y a plus : aucune association n’est indissoluble pour le philosophe. L’histoire des systèmes en fait foi : quelle est la vérité qui n’a pas rencontré de contradicteurs ? Revenons à l’expérience : elle ne saurait tout au moins porter sur des faits négatifs, tels que seraient les actes libres, et quelques savants, au nom de la méthode scientifique, oseraient s’appuyer sur elle pour assurer qu’il n’y a rien de fortuit dans le monde ! « Est-on bien certain que toutes les déterminations animales sont exigées par leurs précédents et que le savant

  1. Psychologie, II, 335.
  2. Log. gén., II, 374.