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Paul Tannery.la géométrie imaginaire.

ment de la notion concrète de notre espace, mais bien d’une notion purement logique, définie conformément à certaines conventions.

Le cas de la courbure nulle pour trois dimensions correspondant à la géométrie euclidienne, comme nous venons de le dire, celui de la courbure négative correspond à la géométrie à trois dimensions de Lobatchefski et le paramètre de cette géométrie peut être alors appelé rayon de courbure de l’espace à trois dimensions, en poursuivant toujours la même métaphore.

Mais la courbure peut être également supposée positive ; dans ce cas, on trouve une troisième géométrie à trois dimensions, que par analogie Beltrami appelle sphérique, comme il appelait la seconde pseudosphérique. Dans l’espace correspondant, les lignes géodésiques ou de longueur minima entre deux quelconques de leurs points sont des lignes fermées de longueur finie, comme les grands cercles sur la sphère. Un tel espace, comme l’avait déjà remarqué Riemann, peut bien être considéré comme illimité, mais non comme infini, toujours par analogie avec la sphère dont la surface est finie, quoique des êtres à deux dimensions vivant sur cette surface n’y pourraient trouver de limites.

Ces résultats ont une grande importance, en ce qu’ils nous permettent de mieux juger de la valeur de l’hypothèse de Lobatchefski ; il est clair que la notion de la ligne géodésique dans l’espace de trois dimensions à courbure positive est essentiellement différente de celle de la ligne droite, ce qui explique comment la géométrie sphérique de Beltrami n’a pu être construite synthétiquement comme la géométrie pseudosphérique l’a été par Lobatchefski et Bolyai. Or, on est parti de la notion de la ligne géodésique définie comme ayant entre deux quelconques de ses points une longueur minima, ce qui la détermine complètement entre deux points donnés[1], tellement que deux telles lignes ne peuvent passer par deux mêmes points de l’espace sans coïncider dans toute leur étendue. Or c’est bien là ce que nous regardons dans notre espace concret comme le caractère spécifique de la ligne droite. Mais l’on voit que si l’on considère ce caractère comme la définition de la droite, on n’a plus qu’une notion purement logique qui, traitée analytiquement, conduit pour l’espace à courbure positive à une intuition différant manifestement de celle de la droite. Donc dans l’espace à courbure négative, c’est-à-dire dans celui de Lobatchefski, les lignes géodésiques ne sont pas davan-

  1. Sauf l’exception correspondant dans l’espace à deux dimensions au cas où les deux points sont deux pôles opposés de la sphère ; une exception analogue se retrouve pour l’espace à trois dimensions, lorsque pour un certain système de coordonnées, les deux points donnés sont à l’infini.