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C’est ce qu’on voit en examinant l’hypothèse de l’être superficiel astreint à vivre sur une surface comme nous vivons dans l’espace. Si cette surface était un ellipsoïde par exemple, il ne pourrait se mouvoir sans que ses dimensions s’altérassent ; il ne pourrait rien mouvoir sans pareille déformation. Il n’admettrait donc nullement le principe fondamental que nous venons d’énoncer et ne pourrait rien constituer qui ressemblât à notre géométrie. Mais s’il vivait sur un plan, il devrait au contraire en établir la géométrie sur les mêmes principes que nous, sans pouvoir s’élever d’ailleurs à la géométrie à trois dimensions. Sur la sphère, sa géométrie se bornerait de même à celle des figures sphériques, il ne connaîtrait pas en revanche notre planimétrie ; les lignes minima entre deux points donnés (arcs de grand cercle) qui pour lui joueraient le rôle de droites, se couperaient en effet nécessairement à condition d’être suffisamment prolongées et il ne comprendrait pas qu’il pût en être autrement.

Mais pour une surface développable, qu’arriverait-il ? Supposons par exemple une surface cylindrique à section droite circulaire. Ici il faut faire une distinction qui échappe ordinairement[1]. L’être superficiel pourrait se mouvoir parallèlement à lui-même sans aucune déformation, en suivant, soit la génératrice rectiligne, soit la circonférence directrice, soit une hélice quelconque. Mais s’il tournait sur lui-même, si la section rectiligne venait s’appliquer sur la section circulaire et réciproquement, il subirait évidemment une déformation. Elle se ferait d’ailleurs sans altération des longueurs, mais la courbure de chaque ligne changerait et dès lors pour que les directions divergentes que l’être superficiel peut prendre au départ puissent lui paraître identiques, comme cela a lieu pour nous dans l’espace à trois dimensions, il faut admettre qu’il ne s’apercevrait pas de ce changement et qu’aucun phénomène de son univers ne lui révélerait la différence essentielle des divers chemins qu’il peut suivre à partir d’un même point.

Sous ces conditions, tous les plus courts chemins entre deux

  1. Ainsi M. Liard (Des définitions géométriques et des définitions empiriques, Paris, 1873), après être parti de l’hypothèse de l’être linéaire, qu’il suppose seulement pouvoir se déplacer sur toutes les lignes de courbure constante (droites ou cercles), dit (page 37) que l’être superficiel peut se déplacer sans déformation sur les surfaces de courbure constante. Ceci est absolument vrai pour le plan et la sphère, parce que la courbure y est la même dans tous les sens, mais non pour les autres surfaces de courbure constante ; il fallait dire « qu’il peut se déplacer sans subir ni extension ni rétrécissement d’aucune de ses dimensions », mais admettre qu’il pouvait se déformer par changement de courbure de ses sections ; il eût fallu en conséquence pour l’être linéaire admettre le mouvement sans extension sur une ligne quelconque.