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ANALYSESardigò. — La Psicologia.

cience universelle. L’auteur assure qu’il est sur ce point en meilleure position que les philosophes antérieurs. Il n’est pas besoin de recourir, selon lui, aux facultés complexes qu’on invoque d’ordinaire pour expliquer l’action morale. Toute représentation entraîne une action correspondante, de même que tout ensemble de nerfs sensitifs correspond à un ensemble de nerfs moteurs. Maintenant les sensations actuelles sont impulsives à un haut degré ; les idées abstraites au contraire sont plus faibles et ne produisent que des impulsions moins énergiques. Mais on peut par des moyens appropriés rendre ces mêmes idées aussi énergiques que les sensations immédiates, et même obtenir leur prédominance dans la majorité des actions. C’est en cela que consiste la moralité. Plus un homme réussit à se soustraire à l’empire des représentations sensorielles, plus il a rendu en lui déterminantes les conceptions objectives par lesquelles il se représente l’ordre des phénomènes dans un vaste espace et dans une longue succession de temps, plus il est devenu un être moral. En ce sens, la moralité apparaît déjà à l’état de rudiment dans l’animalité, et on la voit grandir dans l’humanité inférieure, comme dans l’enfant, degrés par degrés, jusqu’à ce qu’elle arrive à son épanouissement dans l’homme adulte civilisé. Cette explication des idées morales, loin d’exclure le sentiment de la responsabilité et l’idée d’une sanction, les justifie au contraire.

Les idées de M. Ardigò paraissent moins cohérentes et moins mûres sur ce point que sur les autres. Mais nous n’avons pas la prétention de juger au pied levé dans son ensemble une doctrine de cette importance. Peut-être même son auteur eût-il été bien inspiré d’en différer l’exposition jusqu’au jour où il eût pu l’appuyer sur une large base expérimentale. En ce qui concerne la psychologie, il y a quelque inconvénient à traiter d’une manière abstraite de la méthode d’une science, quand on ne peut soutenir ses propositions par des recherches analytiques sur le contenu même de cette science et qu’on est réduit à supposer résolus les principaux problèmes. M. Ardigò nous promet une psychologie expérimentale ; nous ne doutons pas que ceux de nos lecteurs qui sont au courant des travaux commencés dans cette voie n’attendent comme nous plus du second ouvrage que de celui-ci. Rien ne manque à l’auteur pour le conduire à bonne fin, ni une vaste érudition scientifique puisée aux sources, ni la connaissance des systèmes philosophiques antérieurs, ni la clarté des idées, ni la vigueur de l’expression ; et il nous démontrera mieux la bonté de sa méthode en l’appliquant à des problèmes déterminés qu’en la préconisant, sans pouvoir montrer les résultats qu’il annonce. Le meilleur moyen de prouver la possibilité du mouvement a toujours été de marcher. Quand une science est là, présentant tout un groupe de faits systématiquement rangés, des séries de types définis et un ensemble de lois vérifiables, la question de sa méthode est tranchée. « Donnez-moi, dit quelque part M. Ardigò, donnez-moi les sensations et la loi d’association : je vous expliquerai tous les phénomènes de la vie psychique. » S’il est vrai qu’il soit en mesure